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A Rouen, les joyaux impressionnistes d’un “charbonnier”

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A Rouen, les joyaux impressionnistes d’un “charbonnier”

C’est l’histoire d’un “charbonnier”, comme le désignait Monet, qui adorait les paysages de neige. L’industriel François Depeaux joua un rôle clé dans l’essor des impressionnistes. Avec sa lumineuse collection, il fait pour la première fois l’objet d’une exposition, à Rouen.

“C’est quelqu’un qui, par son savoir-faire d’entrepreneur, a installé l’impressionnisme parmi les grandes valeurs de son époque”, en achetant beaucoup, en soutenant les prix, puis par des donations, explique Sylvain Amic, co-commissaire de “François Depeaux, l’homme aux 600 tableaux”.

De “Moret au coucher du soleil” d’Alfred Sisley prêté par le Cincinnati art museum (Etats-Unis) à “Effet de neige, rue à Argenteuil” de Claude Monet, venu de Genève, l’exposition présente, au musée des Beaux-arts (MBA) de Rouen, jusqu’au 15 novembre, près de 70 tableaux (dont treize ont passé des frontières malgré le Covid-19). Parmi eux neuf Monet, 20 Sisley aux côtés de Renoir, Pissaro, Caillebotte, Toulouse-Lautrec.

Leur luminosité contraste avec l’activité qui permit à François Depeaux de les financer, le charbon. Sa société débarquait sur une île rouennaise de la Seine le minerai importé du pays de Galles pour l’y concasser. “Vous imaginez la poussière que ça dégageait, elle était noire cette île”, relève M. Amic.

Or “François Depeaux adore les paysages, de neige” en particulier, poursuit le directeur du MBA de Rouen.

Le “magnat du charbon” voit le jour en 1853 dans une famille d’industriels, quelque vingt années avant la naissance de l’impressionnisme.

Sous son impulsion, la société familiale va connaître “un développement fulgurant”. L’aisance financière acquise, il devient un acheteur “compulsif” de tableaux impressionnistes, à partir de 1884. “Il se jette dans cette activité, comme il s’est jeté dans le commerce du charbon”, résume M. Amic.

A l’époque, beaucoup de tableaux impressionnistes partent pour quelques centaines de francs, quand les peintres académiques vendent les leurs des dizaines de milliers de francs.

– un patriotisme normand –

Le “négociant, armateur, propriétaire de mine” achète d’abord un Sisley, qui restera son favori. “C’est à mon sens, certainement celui dont la peinture contient le plus de poésie”, écrira l’industriel en 1909, quinze ans après avoir hébergé le Britannique.

En 1894, François Depeaux est le premier à acquérir une des cathédrales de Monet, alors le seul impressionniste dont les prix sont élevés. “Monet dit +tout le monde a peur de mes prix sauf Depeaux+”, raconte M. Amic. L’industriel est omniprésent durant la campagne des cathédrales, jusqu’à irriter le peintre. Mais le “charbonnier”, comme Monet le qualifie dans une lettre à son épouse, se démène: il lui trouve un nouvel atelier, un réflecteur de lumière ou un paravent. Le plus connu des impressionnistes le traite donc avec les égards requis.

Au total, 600 tableaux auront été la propriété de François Depeaux dont 60 Sisley et 20 Monet. L’industriel s’attache au passage à “implanter l’esthétique impressionniste au Royaume-Uni”. Il organise une exposition de 150 de ses tableaux au Pays de Galles, avec un catalogue traduit en anglais.

Mais qu’est ce qui motive cet homme issu d’une famille sans collections ? “Il y a une forme de patriotisme. Il est très attaché à la Normandie. Ça lui plaît et en plus il y a des affaires à faire. Et ça lui permet de fréquenter un milieu qui n’est pas celui des industriels”, répond M. Amic.

En 1906, un divorce houleux contraint cet amateur de plaisance et de chevaux à vendre 250 toiles, ce qui risque de faire plonger la cote des impressionnistes. C’est finalement un “triomphe”: François Depeaux parvient à en racheter 53. Il en fera don en 1909 au MBA de Rouen, un projet de longue date, “décisif à un moment où en France, on ne voit pas l’impressionnisme”, ou peu et à Paris, souligne le conservateur en chef.

C’est un des trois dons de tableaux impressionnistes “les plus précoces”.

Mais la Première guerre mondiale et son embargo sur les matières premières stratégiques mettent bientôt fin au commerce florissant de François Depeaux, qui s’éteint en 1920.

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