Home Pure Info Après la victoire en Coupe du monde, les Français réconciliés avec leur drapeau?

Après la victoire en Coupe du monde, les Français réconciliés avec leur drapeau?

0
Après la victoire en Coupe du monde, les Français réconciliés avec leur drapeau?

Des rues noires de monde, des chants à la gloire des Bleus, des fumigènes, des visages maquillés de bleu-blanc-rouge et surtout d’innombrables drapeaux français. Aux fenêtres. Aux voitures. Au vent. Dans le sillage du triomphe de l’équipe de France à la Coupe du monde, les Français n’ont pas hésité longtemps avant de ressortir du placard leurs étendards aux couleurs de la République française. Visiblement, ils sont aussi nombreux à avoir dû s’en procurer un. Chez Doublet, société spécialisée – entre autres – dans la fabrication de drapeaux, le frémissement se confirme: plus 10% de ventes avant la Coupe du monde, plus 40% avant le quart de finale, et plus 100% avant la finale.

“Cela reste quelque chose de très rare en France”

L’entreprise nordiste, qui n’a pas souhaité révéler le nombre exact de drapeaux écoulés, évoque un chiffre de “plusieurs dizaines de milliers”. Et sans rupture de stock, grâce à des machines qui peuvent sortir 2000 drapeaux en quatre heures. “Les gens s’approprient plus le symbole du drapeau français, il est moins connoté politiquement. Les gens sont fiers d’être français à travers ce produit, et plus qu’avant, ça c’est sûr”, se félicite Thomas Colombié, responsable du marketing direct chez Doublet. Le drapeau tricolore est-il revenu à la mode?

“Si on compare avec les Américains qui, eux, sortent et exhibent leurs drapeaux devant leurs maisons de manière très régulière, cela reste quelque chose de très rare en France”, tempère Jean Garrigues, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans.

Depuis longtemps en effet, le rapport des Français à leur emblème s’avère pour le moins contrarié. Quand Ségolène Royal, lors de la campagne présidentielle de 2007, déclare souhaiter que les Français aient “chez eux le drapeau tricolore”, elle reçoit une avalanche de critiques jusque dans son propre camp. En 2015, dans la foulée des attentats, l’appel de François Hollande aux Français à pavoiser de drapeaux leurs habitations n’a rencontré qu’un succès limité. Le contraste avec une avenue des Champs-Elysées remplie de drapeaux pour accueillir Didier Deschamps et ses joueurs lundi apparaît n’en apparaît que plus saisissant.

“Un symbole patriotique devenu assez tabou”

“Ce qui était étonnant, c’était plutôt d’avoir renoncé à cette symbolique”, répond Jean Garrigues. Mais l’historien le reconnaît sans peine: “C’est un symbole patriotique qui est devenu assez tabou dans la société française”.

Le drapeau tricolore est un symbole qui date de la Révolution française. C’est un symbole d’émancipation, qui est devenu un symbole de la République, un système qui est le socle de notre vivre ensemble. Derrière ça, il y a d’abord quelque chose d’émancipateur. Mais avec l’identification du drapeau français avec les guerres de décolonisation, en Algérie et en Indochine, ce drapeau a été assimilé à l’oppresseur, à quelque chose qui relève du répressif”.

Cette retenue française à afficher ses symboles, et le drapeau est sans doute le plus emblématique d’entre eux, trouve ses racines dans l’histoire souvent violente du pays. C’est la thèse défendue par Bernard Richard, auteur de Petite histoire du drapeau français (CNRS Editions), interrogé par Libération en 2017. “La modération des Français dans le pavoisement est surtout à rechercher dans les traces laissées par l’accaparement du drapeau tricolore par une partie de la France – les ligues antiparlementaires en particulier – dans les années 30. On n’a jamais autant paradé avec le drapeau français que sous le régime de Vichy. (…) Le drapeau a dû surmonter des tempêtes politiques, parfois avec difficulté. Cela rappelle combien le peuple français a pu être violent au cours de son histoire. Cette dimension de la violence explique notre retenue à brandir le drapeau et à pavoiser dans nos rues”.

“L’aspect répulsif a été renforcé par cette appropriation de l’extrême droite”

Une histoire qui explique également que le symbole du drapeau a pu agir comme un repoussoir pour une partie de la gauche française.

“En abandonnant en partie de ces symboles, la gauche a laissé le terrain libre à l’extrême droite, éclaire Jean Garrigues. On voit bien à quel point le Front national a beaucoup utilisé ces trois couleurs. C’était même quasiment le logo du parti. L’aspect répulsif a été renforcé par cette appropriation de l’extrême droite. Il y a énormément de réticence dans la culture française par rapport aux symboles patriotiques, qui sont assimilés à du nationalisme”.

Mais selon l’historien, si le “tabou est en train d’être levé”, c’est aussi “à la faveur du contexte des attentats: il y a un sentiment d’unité patriotique d’un pays qui est en situation de guerre face au terrorisme, donc c’est redevenu possible”.

Et la folie collective qui s’est emparée des Français depuis dimanche soir leur a permis d’associer leur drapeau à des symboles moins négatifs. “Cette fois on est dans le ludique sans connotation belliqueuse, ça n’est que du positif. Cela ne relève pas de l’ultranationalisme, mais simplement de l’attachement au vivre-ensemble. Dans le discours des Pogba, des Griezmann, des Mbappé, il y a d’ailleurs une référence au patriotisme qui était moins forte en 98. Sans doute qu’à l’époque on en avait moins besoin, on n’était pas dans cette période de tension communautaire… Ce n’est pas pour autant que la victoire à la Coupe du monde va d’un coup de baguette magique réaliser l’unité d’une société qui reste très fragmentée. Sur le plan de l’attachement ostensible à ces symboles, je ne me fais pas trop d’illusions”, conclut Jean Garrigues.

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.