Home Pure Info Dépêche Arnaque ou métier d’avenir, à quoi servent les “responsables du bonheur” en entreprise?

Arnaque ou métier d’avenir, à quoi servent les “responsables du bonheur” en entreprise?

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Arnaque ou métier d’avenir, à quoi servent les “responsables du bonheur” en entreprise?

C’est une séquence de l’émission de Canal+ L’info du vrai qui tourne en boucle sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. On y voit Leslie, une Chief Happiness Officer (CHO), ou directrice du bonheur, faire découvrir son métier sous l’œil des caméras. Dans cette agence d’événementiel, elle propose aux salariés de sa société des cours de yoga, et ce matin-là, un petit déjeuner sans gluten. Sur Twitter, les commentaires sont à sens unique: “Si une personne m’oblige à prendre un petit dej sans gluten, je n’aurai qu’une seule et unique motivation: démissionner”. “On dirait une parodie”. “Job de demeuré pour des entreprises de merde où les salariés sont tous en pré-burnout. La quintessence de l’esprit start-up pervers et pernicieux”.

Apparu il y a deux ou trois ans en France, et après une première phase de curiosité, le métier n’en finit plus de subir une forme de bashing. Vacuité de la fonction, langage “start-up nation”, fausse bienveillance… Les reproches sont nombreux, et pour tout dire parfois justifiés.

“Ces initiatives peuvent aussi avoir des conséquences négatives sur la performance sociale et au final économique, prévient Thibaut Bardon, titulaire de la chaire “Innovations managériales” à l’Audencia Business School. C’est lié à cette injonction au bonheur exercée sur des gens qui font peut être très bien leur boulot, mais qui n’ont pas envie de participer à cette culture qui peut être intrusive, qui ont peut être envie de compartimenter la sphère professionnelle et la sphère personnelle”.

“Ce n’est pas l’outil qui est à remettre en question, c’est la manière de l’utiliser”

Si certaines grandes entreprises (Bouygues, Kiabi, Boiron…) se sont dotées d’un poste de cette nature, la vague des CHO n’a pas déferlé sur le pays. La réalité, c’est aussi que la mission de ce poste se retrouve souvent partagée entre le responsable RH, le chef des services ou l’équipe dédiée à la communication interne. “Il y a différentes signaux faibles qui nous permettent de dire que c’est un job qui fait beaucoup de bruit mais qui reste assez marginal, reprend Thibaut Bardon. Un agrégateur de sites de recrutement avait fait une étude en 2016: ils avaient 193 annonces de recrutement de CHO en France, c’est hyper faible.  Et quand on regarde sur Linkedin, qu’on met Chief Happiness Officer, on a à peu près 500 personnes qui se déclarent en France”.

Recevoir ces critiques, “on s’y attendait”, remarque Olivier Toussaint. Fondateur du Club des CHO, un think-thank “dédié à l’expérience collaborateur et au futur du travail”. Il fut l’un des premiers en France à populariser le concept. Aujourd’hui dévoyé?

“Ce n’est pas l’outil qui est à remettre en question, c’est la manière de l’utiliser. Si on fait ça pour exploiter les gens d’avantage, les presser comme des citrons et faire en sorte qu’ils tiennent deux ans de plus parce que le burn out c’est trop difficile à gérer, ce ne sont pas les bonne raisons. C’est ce que je dis lors de rendez-vous avec de grosses structures. Les mecs me disent “on a un plan de licenciement dans 6 mois, il nous faut absolument un CHO”. Je leur dis “mais vous vous foutez de la gueule de qui?”. Ce n’est pas du tout ça le but du jeu, il ne faut pas prendre les gens pour des idiots”.

“Je n’ai pas droit d’utiliser le terme CHO en interne, parce que c’est mal vu”

Selon lui, “la question n’est pas de se demander si dans cinq ans le métier de CHO existera encore dans cinq ans. C’est de se demander si le sujet de fond, qui est l’épanouissement au sein des entreprises, ce sera le sujet de demain? Et pour moi c’est incontestable. On a des gens qui vont s’appeler “culture manager” ou “feel good manager”. Si une entreprise a envie d’appeler ça “responsable de la qualité de vie au travail” parce que ça fait plus administratif, il n’y a pas de problème. Mais c’est un peu toujours la même chose”.

Dans l’organisme de formation de la région lyonnaise où il travaille, Sébastien, 30 ans, est lui “staff community manager”.

“Officiellement, je ne suis pas CHO, je n’ai pas droit d’utiliser ce terme en interne, parce que c’est mal vu, raconte-t-il. Il y a une forme de bashing sur ce métier, mais ce qui est visé, c’est plus le côté “on va essayer de mettre de la poudre aux yeux des salariés” en leur foutant un gars qui va leur donner des croissants et du jus d’orange. Et comme ça ils vont se taire sur les conditions de travail”.

En poste depuis un an et demi, il reconnaît sans peine qu’au début, il a dû se “bagarrer” pour exister dans sa société. “On a tâtonné. On ne faisait que des trucs funs: une chasse aux œufs, des matchs de foot… Mais on s’est rendu compte qu’il fallait légitimer la chose en ciblant d’autres publics, reprend Sébastien. Ensuite, on n’impose pas le bonheur, on le propose. C’est un métier qui fait ressortir le fait qu’au boulot, on a le droit de faire autre chose qu’être derrière l’ordinateur 8h par jour. Je pense que c’est l’officialisation de ces missions-là qui fait que parfois, balancer un salaire à une personne pour qu’elle amuse les gens, ça énerve un peu les salariés. Alors que ça permet de faire en sorte que les gens se connaissent beaucoup mieux, et ça augmente beaucoup la productivité”.

“Jusqu’à un certain point, le stress peut aussi être un moteur de productivité”

Sauf que ce fameux gain de productivité n’a rien d’évident.

“II y a autant d’études qui montrent qu’il y a une relation positive entre le bonheur et la productivité que d’études qui montrent l’inverse, estime Thibaut Bardon. Souvent, on a tendance à croire qu’un salarié heureux et nécessairement un salarié plus productif. Il est plus engagé, plus motivé, voire moins malade. Mais il y a aussi des études sur des échantillons larges qui montrent que l’effet est nul voire même un peu négatif. Ce n’est pas très politiquement correct de le dire, mais jusqu’à un certain point, le stress peut aussi être un moteur de productivité”.

“On passe 80% de notre temps au travail, est-ce qu’on a le droit d’y être heureux?”, se demande Olivier Toussaint. Sans doute, mais sans forcément passer par l’embauche d’un CHO. Pour Thibaut Bardon, “il y a des cas de réussite, où ça a l’air de fonctionner, mais cela repose sur des impressions. Il y a aussi des cas d’entreprises qui se sont lancées de manière hyper-enthousiaste dans tout ce mouvement-là au sens large, et qui reviennent un peu en arrière. Est-ce que ce job a de l’avenir? Je ne suis pas Madame Soleil. Par contre, ce qu’on observe, c’est qu’il y a une tendance de fond dans les entreprises autour du thème du bonheur, du cool, d’une approche un peu différente du management”.

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