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Au Danemark, deux décennies d’obsession migratoire

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Au Danemark, deux décennies d’obsession migratoire

“Guantanamo, c’est mieux que le Danemark”: arrivé de République démocratique du Congo comme réfugié, Julien Murhula a été le témoin du repli national du royaume scandinave, obsédé par la question migratoire depuis le tournant du siècle.

Le propos volontairement excessif traduit l’exaspération de cet interprète-traducteur qui, comme de nombreux étrangers, reste un travailleur précaire alors que le Danemark baigne aujourd’hui dans le plein-emploi.

“Trop de mépris, trop de dédain” dans un pays pourtant vanté pour son progressisme: les femmes y ont obtenu le droit de vote dès 1915, l’accès aux soins et l’éducation, subventionnés par l’impôt, sont gratuits.

A l’exception de l’extrême gauche, tous les partis danois sont aujourd’hui d’accord pour maintenir l’immigration à l’étiage où elle se trouve, et ce sont d’autres questions – le climat, la protection sociale – qui sont au coeur des législatives du 5 juin.

Terre d’émigration jusqu’au début du 20e siècle, le Danemark a commencé à accueillir des étrangers, d’abord des migrants économiques puis des réfugiés, après la Seconde Guerre mondiale.

Mais, depuis 2001, le Parti du Peuple danois dicte la politique d’immigration et d’intégration du royaume scandinave de 5,6 millions d’habitants, dont près de 10% sont nés à l’étranger.

Cette formation populiste anti-immigration a chèrement monnayé son soutien aux gouvernements de droite au pouvoir 14 des 18 dernières années. Son corpus idéologique et sémantique est désormais la norme.

“Ce qu’on pensait extrême il y a dix ans est désormais un discours commun au Danemark”, explique Kasper Hansen, professeur de sciences politiques à l’Université de Copenhague.

– Toujours plus de rigueur –

Pas de regroupement familial pour les conjoints de moins de 24 ans, saisie des effets de valeur des migrants, double-peine pour les délits commis dans certains quartiers sensibles: sur le territoire comme aux frontières, le message est univoque.

“Nous ne voulons pas que le Danemark devienne une société plus multi-ethnique”, martèle Hans Kristian Skibby, parlementaire du Parti du Peuple danois venu à la rencontre de ses électeurs à Horsens, une ville du Jutland (ouest) où près d’un habitant sur quatre avait voté pour le parti en 2015.

Au premier trimestre 2019, 620 personnes ont déposé une demande d’asile, le chiffre le plus bas depuis 2008.

Personne n’entend infléchir le cap. Les sociaux-démocrates, qui devraient sortir vainqueurs des élections, se portent garants du statu quo.

– Des “ghettos” –

Les étrangers présents sur le territoire s’estiment, eux, la cible d’une stigmatisation permanente.

En 2010, le gouvernement a publié une liste de “ghettos” désignant les quartiers défavorisés à forte population immigrée.

La majorité sortante du Premier ministre libéral Lars Løkke Rasmussen a présenté un objectif de “zéro ghetto” en 2030, arguant qu’une “proportion trop importante” des immigrés vivant au Danemark s’y concentrait et se comportait “différemment” du “Danois moyen”.

Pour Ulf Hedentoft, spécialiste des cultures politiques à l’université de Copenhague, les Danois “s’identifient comme un groupe homogène en opposition aux +autres+”.

L’écrivain Jens Christian Grøndahl explique le phénomène par la structure horizontale de la société danoise, où le prolétariat qui pourrait “absorber” des étrangers non qualifiés est quasi inexistant.

“L’Etat-providence n’a pas vocation à être providentiel: c’est une construction protestante fondée sur la responsabilité et la participation de chacun”, dit-il.

– Une intégration efficace –

Dans ce contexte, “le catéchisme pour les étrangers serait: si vous voulez vivre au Danemark, il faut prouver que vous pouvez participer et ne serez pas un poids financier”, avance M. Hedetoft.

Dans leur majorité, les mesures d’intégration fonctionnent, mais rares sont les success story. Lors de la dernière législature, seuls deux députés étaient nés en dehors des frontières du pays.

La différence entre le taux d’activité des immigrés “non occidentaux” – c’est le terme usuel au Danemark – et celui des Danois de souche se réduit mais reste élevé.

A 45 ans, 70% d’entre eux avaient un emploi en 2017, contre 88% pour le reste de la population du même âge.

Devenu un parti du “système”, passé à côté de la question climatique désormais en tête des préoccupations des Danois, le Parti du Peuple danois devrait s’effondrer le 5 juin – comme aux européennes -, au profit des sociaux-démocrates et deux nouvelles formations d’extrême droite, “Nouvelle Droite” et l’anti-musulmans “Ligne Dure”.

“Dans les comparaisons avec la Suède, l’Allemagne et les autres pays, l’idée était que comme nous avons un débat public (sur l’immigration) nous n’avions pas de partis extrémistes. Mais maintenant, on les a quand même”, commente le politologue Flemming Juul Christiansen de l’Université de Roskilde.

Pour Julien Murhula, qu’importe l’issue du scrutin: “Ici, au Danemark, c’est fini pour les étrangers”.