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Au Liban, les familles de disparus de la guerre civile retrouvent l’espoir

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Au Liban, les familles de disparus de la guerre civile retrouvent l’espoir

Plus de trente ans après la fin de la guerre civile au Liban, le Parlement a voté une loi prévoyant la création d’une commission d’enquête sur les disparus. Une décision attendue de longue date par les familles qui réclament le “droit de savoir”.

C’est une bouffée d’oxygène, qui va nous donner à nouveau la force de lutter”, raconte, émue, Wadad Halwani, jointe au téléphone par France 24. C’est le 17 novembre 1982, que cette femme, devenue un symbole, a lancé le comité des familles de disparus au Liban pour retrouver la trace de son mari, enlevé à son domicile deux mois plus tôt par plusieurs individus, probablement des agents des services de renseignement de l’armée libanaise. “Cela fait 36 ans que nous nous battons pour obtenir la vérité sur le sort de nos proches”, explique-t-elle.

Le 13 novembre 2018, après de longues discussions entre les députés, le Parlement libanais a adopté la loi 19 sur les disparitions forcées, près de trente ans après la fin de la guerre civile. Le conflit, qui s’est déroulé entre 1975 et 1990, a fait officiellement 150 000 morts et 17 000 disparus.

La nouvelle loi prévoit la création d’une commission d’enquête officielle, dont la mission sera de déterminer ce qu’il est advenu des disparus. Elle pourra documenter les disparitions, répertorier les fosses communes et exhumer les cadavres retrouvés. Elle aura également la responsabilité de construire une banque de données ADN afin de pouvoir identifier les corps, ou encore de délivrer un certificat de disparition aux familles, qui ont souvent refusé de déclarer la mort de leurs proches.

“Le droit de savoir”

Jusqu’ici, l’État libanais avait fait preuve de mauvaise volonté pour faire la lumière sur le sort des disparus. Car les chefs de milices des années 80 dominent encore aujourd’hui la vie politique et économique du pays du Cèdre. Ils veulent à tout prix éviter de faire l’inventaire du passé, depuis la loi d’amnistie générale votée à la fin de la guerre, le 26 août 1991, qui les a laissés libres de toute responsabilité. “À la fin du conflit, les autorités n’ont pas mis en place de commission vérité et réconciliation. Contrairement à beaucoup de pays, notamment en Amérique du Sud, le Liban n’a pas connu une transition politique incluant un processus de justice transitionnelle”, explique Jérôme Thuet, responsable du dossier des disparus au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Beyrouth.

Dans le passé, plusieurs commissions ont été constituées par décret en 2000, 2001 et 2005, mais n’ont abouti à aucun résultat. “Elles comprenaient essentiellement des militaires, dépendaient du bon vouloir du Conseil des ministres et elles étaient limitées dans le temps”, explique l’ancien député Ghassan Moukheiber, qui porte depuis de nombreuses années le projet de loi sur les disparitions forcées. “La nouvelle commission de dix membres est permanente, dispose de moyens juridiques, et est formée majoritairement par des membres de la société civile. Elle a surtout force de loi”, poursuit l’ancien député.

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Le projet de loi était dans les tiroirs du Parlement depuis 2014, date à laquelle le Conseil d’État, laplus haute autorité judiciaire, avait accordé aux familles des disparus le précieux “droit de savoir”.

“Ils vivent parmi nous”

Plusieurs points de la loi ont alimenté la polémique, notamment l’article 37, qui prévoit que les responsables des disparitions forcées seront punis de peines allant jusqu’à 15 ans de prison et des amendes de quelque 20 millions de livres libanaises (11 500 euros). “Un certain nombre de politiciens, anciens chefs de milices, craignaient de se retrouver dans le box des accusés. Ils n’avaient pas compris que ces peines ne sont pas rétroactives”, explique Ghassan Moukheiber.

Car la loi n’aurait pas pu recevoir le soutien du Parlement s’il avait été question d’ouvrir la boîte de Pandore des responsabilités de la guerre. “Le projet de loi a une vocation humanitaire, il ne s’agit pas d’accuser les chefs de milices. Ils vivent parmi nous, sont aux plus hauts postes du pouvoir. C’est à la société libanaise dans son ensemble de solder les comptes de la guerre”, explique Wadad Halwani.

Une des questions épineuses était également la mention, dans la loi, des disparus enlevés au Liban, et emmenés en Syrie. L’association Solide, dont le fondateur, Ghazi Aad, est décédé en 2016, avait recensé 600 cas de détenus disparus, sur la base des indications fournies par les familles. “La Syrie est mentionnée dans les attendus de la loi, ce qui est une avancée considérable”, se félicite Wadih al- Asmar, président du CLDH (Centre libanais pour les droits humains). 

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Le processus d’identification des corps va être accéléré par les actions menées par le CICR depuis plusieurs années. Depuis 2012, anticipant la création de la commission d’enquête, il a commencé un travail de fourmi : retrouver les familles de disparus et constituer sa propre base de données ante mortem. Le CICR a ainsi recueilli auprès de 3 000 familles le maximum d’informations : sexe, âge, circonstances des enlèvements, dentition, fractures, habits, contexte familial… “Il nous reste à mener notre enquête auprès de 500 familles. Il y a également une liste de 1 500 noms de disparus non élucidée, car nous n’avons pas de contact avec les familles”, explique Jérôme Thuet, du CICR. Le chiffre officiel de 17 000 disparus est lui surestimé, certains noms ayant été comptabilisés plusieurs fois, et les familles n’ayant pas toujours signalé le retour de leurs proches. 

Plus d’une centaine de fosses communes

En plus de cette base de données, le CICR a entrepris, depuis 2015, de prélever des échantillons de salive des proches des disparus. “Nous avons collecté les échantillons correspondant à 700 personnes disparues. Nous disposons de deux échantillons pour chaque famille. Notre objectif est de transférer un des deux échantillons de salive aux archives fédérales suisses. Nous sommes en discussion avec la police libanaise pour qu’elle conserve les autres au Liban”, poursuit Jérôme Thuet. “Les proches des disparus sont pour certains âgés. Nous avons pris acte de cet état d’urgence”.

Le sérieux de la commission devrait rapidement être mis à l’épreuve, selon qu’elle décidera ou non d’ouvrir les charniers de la guerre civile. En 2000, le gouvernement libanais avait évoqué l’existence de fosses communes à Beyrouth, mais n’a entrepris aucun effort d’identification depuis. Selon l’ONG Act for disappeared, qui travaille depuis deux ans sur la localisation et la protection des fosses communes, il y aurait 112 sites identifiés, alors que le temps presse : avec l’urbanisation débordante au Liban, les sites des charniers risquent chaque jour de disparaître.

Le vote de la loi 19 représente une victoire de longue haleine pour toutes les associations mobilisées sur la question. Depuis près de quinze ans, elles se rassemblaient inlassablement dans le centre de Beyrouth, dans un silence assourdissant. Wadad Halwani entrevoit enfin l’espoir. “J’aimerais connaître la vérité avant de quitter la vie, mais je sais que le chemin est encore long. Si nos enfants ne parviennent pas à connaître le sort de nos proches, ce seront nos petits-enfants qui prendront le relais. Mais je voudrais tellement qu’ils n’héritent pas de ce poids.”

Première publication : 16/11/2018

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