Home Pure Info Aux Philippines, des croisés de l’environnement tentent de sauver le paradis

Aux Philippines, des croisés de l’environnement tentent de sauver le paradis

0
Aux Philippines, des croisés de l’environnement tentent de sauver le paradis

Dans la jungle philippine, l’ancien paramilitaire Efren Balladares et ses hommes sont en mission environnementale. Au péril de leur vie, ils pourchassent les bûcherons qui abattent illégalement les arbres de ce coin de paradis menacé.

Balladares, dit Tata, mène depuis 15 heures ses six croisés de l’environnement, chaussés comme lui de tongs, dans les montagnes abruptes de l’île occidentale de Palawan.

L’un d’entre eux s’est cassé le bras quelques jours plus tôt lors d’une mission de reconnaissance mais n’a pas encore pu voir le médecin.

Ils sont épuisés. Durant la nuit, ils n’ont dormi qu’une demi-heure sur un sentier.

Ils pourraient être paralysés par la peur: plusieurs d’entre eux ont été assassinés à cause de leurs actions de type commando, d’autres portent les cicatrices des tronçonneuses qu’ils cherchent à confisquer.

Mais l’adrénaline fait son oeuvre. La fin de la traque approche. Tata chuchote ses dernières instructions et l’équipe fond sur deux bûcherons occupés à découper le tronc d’un Apitong. Cet arbre en bois dur est en danger critique d’extinction mais apprécié par certains promoteurs d’El Nido, une localité proche en plein essor touristique.

La voix de Tata rugit pour la première fois ce jour-là: “Arrêtez! Arrêtez! Face contre terre!”

Les bûcherons, de jeunes hommes vêtus de haillons similaires à ceux de leurs nouveaux ennemis – le symbole de leurs vies parallèles dans la pauvreté – sont comme assommés.

Les “miliciens” écologistes ne brandissent aucune arme mais en quelques secondes, ils s’emparent des machettes et de la tronçonneuse de leurs proies, fouillant les alentours pour s’assurer qu’aucun pistolet ou fusil ne s’y cache.

– Commando civil –

De la voix qui en impose d’un policier ou d’un soldat bien entraîné, Tata leur pose des questions. “Vous avez un permis pour le bois? La tronçonneuse est enregistrée?”. Les bûcherons répondent docilement par la négative.

“Voilà ce qu’il en est. On est le réseau ONG de Palawan, le PNNI”, explique Tata. “On est ici dans la montagne car selon nos informations, l’abattage illégal y est généralisé.”

L’équipe donne aux deux jeunes gens un reçu pour leur tronçonneuse et repart dans la forêt après cette rencontre qui n’a duré que quelques minutes.

Tata, 50 ans, ne montre aucun signe de peur ou de fatigue. Pourtant, d’après l’ONG spécialisée Global Witness, un écologiste est tué tous les 12 jours dans l’archipel, soit 28 en 2016.

Tata s’est endurci en dirigeant la milice privée d’un général corrompu avant de passer de l’autre côté voici 20 ans, devenant commando civil.

Mais au cours d’un rapide repas composé de riz et de poisson séché, sa voix se brise et il dit son désespoir. “Ca devrait être le boulot du gouvernement mais il ne fait pas son travail. Si on n’est pas là, qui le fera?”

– La dernière frontière –

Palawan est souvent présentée comme la dernière frontière écologique des Philippines. L’île abrite ce qu’il reste de la majorité de la forêt de l’archipel. Ses eaux sont réputées mondialement pour leur intérêt biologique.

Avec ses falaises calcaires spectaculaires, ses lagons aux eaux turquoise, ses plages vierges, Palawan est classée par les grands magazines touristiques comme l’une des plus belles îles du monde.

Mais c’est aussi un aimant pour les entreprises corrompues, les responsables politiques et les forces de sécurité qui cherchent à piller ses richesses naturelles.

Les forces philippines, faibles et corrompues, ne font rien et le Palawan NGO Network Inc (PNNI) veut combler le vide.

Un nom étrangement corporatiste pour des militants anti-establishment désargentés, qui jugent inefficaces les campagnes traditionnelles pour protéger l’environnement.

Partisans de l’action directe, ils se servent d’une obscure disposition légale sur les arrestations citoyennes, avec le soutien des communautés locales, pour confisquer les tronçonneuses, les foreuses et les équipements de pêche au cyanure.

Selon le fondateur du groupe, Bobby Chan, avocat spécialisé dans la défense de l’environnement, plus de 700 tronçonneuses ont été confisquées depuis la création de l’ONG il y a près de 20 ans.

– ‘La grande criminalité environnementale’ –

Dans la petite cour du quartier général du PNNI à Puerto Princessa, la capitale de Palawan, trône un “arbre de Noël” de deux étages de haut, réalisé avec une centaine de tronçonneuses saisies. Les clôtures ont aussi été fabriquées avec ces engins.

Dans la cour, gît aussi un large bateau qui servait à transporter du bois de contrebande jusqu’en Malaisie, de même que deux foreuses confisquées car elles étaient utilisées pour extraire de l’or sur des terres tribales.

Des fusils de fabrication maison et des pistolets pris à des bûcherons et pêcheurs illégaux sont accrochés aux murs.

Il s’agit d’envoyer aux puissants le message selon lequel le réseau ne peut être intimidé, a dit Bobby Chan lors d’une rencontre avec l’AFP fin septembre. “On veut balayer l’idée que rien ne peut être fait contre la grande criminalité environnementale.”

Le groupe est prêt à payer de sa vie pour ce combat.

M. Chan raconte avoir retrouvé en 2004 le corps de son camarade Roger Majim, enseveli sur une plage.

“Les bûcherons avaient placé ses tongs sur la tombe. Il présentait 16 blessures par couteau. Ses yeux avaient été arrachés. Sa langue avait été coupée. Ses testicules avaient été tranchées et mises dans sa bouche”.

“C’était un message. Si vous continuez, ça va vous arriver aussi.”

– Une balle dans la tête –

Depuis 2001, 12 militants du PNNI ont été assassinés.

Le dernier en date, Ruben Arzaga, 49 ans, a été abattu en septembre d’une balle dans la tête en s’approchant d’un site illégal d’abattage.

L’AFP avait rencontré ce père de cinq enfants six mois plus tôt: “Si on ne met pas fin à ces activités illégales, je crois qu’avant que ma fille ne grandisse et n’ait sa propre famille, tous les grands arbres auront disparu”, avait-il dit.

Bobby Chan, qui a étudié à l’université privée la plus prestigieuse des Philippines, reconnaît s’interroger. “A chaque fois qu’on perd quelqu’un, on s’affaiblit”, dit-il, les larmes aux yeux.

“On a davantage peur, on perd un peu de l’idéalisme qu’on avait au début. Je ne peux pas m’empêcher de me sentir responsable de l’avoir poussé, lui, mais aussi les autres qui ont été assassinés.”

Le financement de l’ONG pose problème, les donateurs potentiels jugeant le PNNI trop agressif. Mais le groupe trouve toujours le moyen de relever la tête et repartir au combat.

En se rendant aux funérailles de Ruben Arzaga, les commandos de l’écologie font une pause dans la forêt pour tenter de confisquer une autre tronçonneuse.

Ils tombent sur deux sites où les arbres ont été fraîchement coupés.

Il pleut fort, les braconniers ne sont pas revenus prendre les planches, les croisés de l’écologie repartent bredouilles.

Mais ils ont prouvé que bien qu’affaiblis, ils ne sont pas vaincus.

© 2017 AFP. Tous droits de reproduction et de représentation réservés. Toutes les informations reproduites dans cette rubrique (dépêches, photos, logos) sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par l’AFP. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, modifiée, rediffusée, traduite, exploitée commercialement ou réutilisée de quelque manière que ce soit sans l’accord préalable écrit de l’AFP.