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Comment les commanditaires du 13 novembre 2015 ont été tués un à un

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Comment les commanditaires du 13 novembre 2015 ont été tués un à un

Dans son livre “Les espions de la terreur”, le journaliste de Mediapart Matthieu Suc rapporte que tous les commanditaires des attentats du 13 novembre 2015, qui opéraient au sein d’une cellule de renseignement de type “CIA”, ont été éliminés.

Un an a passé depuis que la dernière figure qui a fomenté les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, le Belge Oussama Atar, a été tuée par une frappe de la Coalition internationale en Syrie. Il était le chef de la “CIA” jihadiste montée dans la ville de Raqqa au plus fort de la mainmise de l’organisation État islamique (EI). Et pourtant, l’État français ne fanfaronne pas sur la fin supposée de l'”Amniyat”, les services de renseignement organisés au sein de l’EI, dont les services de renseignement occidentaux ont peu à peu découvert l’existence. C’est la percée au jour de cette cellule et l’élimination de ses chefs que détaille le journaliste de Mediapart, Matthieu Suc, dans le livre “Les espions de la terreur” (éditions Harper Collins). Interview.

France 24 : Vous avez régulièrement ironisé sur le “y’a pas de faille” claironné après les attentats de 2015 par l’ancien Premier ministre, Bernard Cazeneuve, et mis au jour les manquements du système de renseignement français pour démanteler les réseaux jihadistes en France. L’élimination des commanditaires des attentats du 13 novembre 2015 marquerait donc un progrès dans la capacité du renseignement français à opérer ?

Matthieu Suc : Au début de la période qui nous occupe [après le massacre dans la rédaction de Charlie Hebdo, en janvier 2015, NDLR], les services de renseignement ont sous-estimé l’ampleur du jihadisme. Il faut dire que sur les réseaux sociaux, le niveau d’échange entre jihadistes était sommaire et ne volait pas très haut. Pourtant, dans le lot, il y avait des vétérans du grand banditisme et du renseignement qui avaient l’habitude de la clandestinité et sont montés en grade très vite au sein de l’État islamique. On s’est ensuite aperçu qu’il s’agissait de personnes brillantes et tacticiennes, pas des arriérés ou des barbares incultes. Les États-Unis l’avaient compris avec le 11 septembre 2001, où on dénombrait des ingénieurs parmi les terroristes. Les attentats de 2015 ont révélé au renseignement français que le camp adverse était plutôt doué, opérationnellement parlant.

La masse des données à traiter – interrogatoires, écoutes téléphoniques, correspondance – a permis au renseignement français de vite rattraper son retard. On le voit dans les retranscriptions : les erreurs, les fautes d’orthographes sur les noms, la mauvaise compréhension de certaines expressions de base en arabe, ont disparu au fur et à mesure du traitement des documents. La qualité du travail a beaucoup progressé en 2016 et en 2017, à force de baigner 24h/24 dans la culture jihadiste. Et le choc des attentats du 13 novembre 2015 et du 14 juillet 2016 a permis une prise de conscience collective au sein des services, de la nécessité de travailler de concert.

France 24 : Vous dites dans votre livre que, à l’échelle internationale, la coopération entre les renseignements des pays occidentaux a été inédite.

M.S. : Les services de renseignement des différents pays occidentaux ont surmonté la logique de méfiance qui prévalait auparavant, et tout le monde a mis au pot commun contre l’EI. La traque des jihadistes a été menée à la fois pour venger le 13 novembre, et par principe de réalité. À partir de 2015, on a changé de paradigme, tous les pays ont compris que l’État islamique pouvait frapper partout dans le monde. Même les Russes et les Chinois ont coopéré. Les Anglais se sont révélés très bons pour infiltrer le groupe terroriste, le Mossad est également très performant.

La coopération internationale a permis de cerner l’existence d’une organisation du renseignement au sein de l’État islamique, installée sous les gradins du stade de Raqqa. En 2016, on doutait encore de l’existence d’une telle cellule, que le jihadiste français, Nicolas Moreau, avait pourtant commencé à évoquer lors des interrogatoires de 2015. Il y a plein de choses que l’on ignore encore sur le renseignement jihadiste, nommé “Amniyat” ou AMNI, qui était doté à la fois d’une cellule de renseignement interne sur l’application de la charia et la détection des tentatives d’infiltration, et d’une cellule de renseignement extérieur, qui centralisait les tentatives d’attentat à l’étranger. Les principales têtes pensantes de cette “CIA” jihadiste ont été éliminées.

France 24 : Comment l’assassinat de ces haut placés de l’EI est-il assumé par la Coalition internationale en Syrie ?

M.S. : Les États-Unis sont beaucoup moins pudiques que la France pour parler ouvertement des assassinats ciblés des dignitaires de l’EI. Aucun communiqué des renseignements français ne se félicitera officiellement de la mort du Belge Oussama Atar le 17 novembre 2017. Ce serait reconnaître qu’il existe des assassinats hors du cadre légal. Paris préfère parler de frappes sur des lieux géographiques.

Par exemple, le 30 août 2016, le cheikh Abou Mohamed al-Adnani, n°2 de l’EI et porte-parole de l’organisation terroriste, est éliminé par un missile américain. Dans la nécrologie qu’elle lui consacre, la DGSI déclare sobrement qu’avec la mort d’al-Adnani disparaît le terroriste qui a supervisé les attaques de Paris et de Bruxelles.

Or Paris a régulièrement donné des informations détaillées aux Américains sur la présence de haut placés de l’EI dans la zone syro-irakienne en vue de leur traque et de leur exécution. La coopération entre la France et les États-Unis a été fructueuse, au point qu’aucune attaque française n’a ciblé les commanditaires du 13 novembre 2015 – ces sont des bombes américaines qui ont les ont éliminés. Washington considère la France comme sa “frontière extérieure” – si les attentats ne se passaient pas en France, ce serait probablement aux États-Unis.

France 24 : Peut-on dire aujourd’hui que la cellule de renseignement de l’organisation État islamique a été neutralisée ?

M.S. : Le Mossad considère qu’avec l’élimination à l’automne 2017 du chef de la “CIA” du califat, Oussama Atar, la branche chargée au sein de l’EI des attentats en Europe a été décapitée. Mais l’EI n’est pas vaincu pour autant, il a reculé géographiquement. L’Amniyat n’existe peut-être plus, les moyens d’un appareil d’État ne sont plus mis à disposition de projets terroristes, mais il ne faut pas sous-estimer son héritage.

En France, le thème du jihad a reculé dans le discours politique. Les gens du renseignement sont rincés et fatigués, les efforts se relâchent. Chacun essaie de couvrir son service, de vieilles rancœurs réapparaissent et de nouvelles rivalités se font jour. C’est une période faussement calme, et ce serait le moment opportun de tenter d’identifier les menaces à moyen et long terme. Or je ne perçois pas de grande manœuvre en ce sens au sein du renseignement français.

>> À voir sur France 24 : L’entretien avec Sofia Amara : “Tout a été fait pour que l’EI survive à son leader”

Première publication : 06/11/2018

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