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Couvre-feu: un effet différé dans le temps et difficile à mesurer

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Couvre-feu: un effet différé dans le temps et difficile à mesurer

Le couvre-feu entré en vigueur samedi en Ile-de-France et dans huit métropoles dans l’espoir d’enrayer la recrudescence de l’épidémie de Covid-19 mettra plusieurs semaines à porter ses fruits et son degré d’efficacité est difficile à anticiper, expliquent plusieurs spécialistes.

“Dire que le couvre-feu sera LA stratégie qui fera baisser les transmissions: non, c’est impossible à dire”, car il est très compliqué d’isoler l’impact d’une seule mesure, a ainsi assuré à l’AFP l’épidémiologiste Yves Coppieters, professeur de santé publique à l’Université libre de Bruxelles.

L’interdiction de circuler entre 21H00 et 06H00 a été annoncée pour quatre semaines, mais le gouvernement veut passer par le Parlement pour la porter à six, une durée indispensable selon lui.

Les “mesures de gestion du virus prennent deux, trois semaines pour porter leurs fruits, et ensuite il faut les maintenir le temps que non seulement on inverse la courbe, mais qu’elle soit à un niveau suffisamment bas”, a estimé le ministre de la Santé Olivier Véran.

Si le couvre-feu parvient à ralentir le nombre de contaminations, “il faut compter deux semaines pour voir un impact sur les nouvelles personnes diagnostiquées, et trois semaines pour voir un impact sur les indicateurs à l’hôpital”, a expliqué à l’AFP Dominique Costagliola, épidémiologiste et directrice de recherche à l’Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique (IPLESP).

“Il n’y a pas de formule mathématique” parfaite, mais “six semaines (…) c’est le bon ordre de grandeur”, a jugé vendredi lors d’un point presse Daniel Lévy-Bruhl, responsable de l’unité des infections respiratoires à Santé publique France.

– “Coup d’épée dans l’eau” –

Si la durée est trop courte, lorsque la mesure est levée on risque de se retrouver “dans la même situation qu’au moment où elle a été mise en oeuvre”. Autrement dit, “un coup d’épée dans l’eau”, prévient-il.

Et quand saura-t-on que c’est le bon moment pour y mettre fin ?

Pour Olivier Véran, il faudrait redescendre à “3.000, 5.000 nouveaux cas par jour”, contre 30.000 actuellement, “pour pouvoir à nouveau faire du traçage, repérer tous les cas, repérer les chaînes de contamination et pouvoir les briser”.

“Si on veut continuer à prendre en charge l’ensemble des malades, c’est au-delà du raisonnable quand une pathologie dépasse 10% des lits de réanimation”, estime Dominique Costagliola, alors que certaines régions ont aujourd’hui plus de 40% de leurs lits en réa occupés par des malades atteints de Covid-19.

L’idée derrière le couvre-feu est d’agir sur les rassemblements privés, angle mort des mesures de prévention déjà en place.

“Le confinement nocturne a pour but de limiter les relations sociales la nuit, car c’est aujourd’hui au cours de soirées que se fait la principale partie des contaminations. (…) Le fait de ne pas pouvoir se déplacer pour aller en soirée permettra de limiter ce mode de contamination”, analyse Bruno Megarbane, chef du service de réanimation médicale de l’hôpital Lariboisière (AP-HP), dans une vidéo publiée sur le compte Twitter du gouvernement français.

– “Frapper les esprits” –

A Marseille, après la fermeture des bars fin septembre, la courbe des contaminations a connu un plateau suivi d'”un petit sursaut épidémique”, observe Pascal Crepey, épidémiologiste et biostatisticien à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), sur le site The Conversation.

“Cela suggérerait que la fermeture des bars n’était pas suffisante à elle seule pour contrôler l’épidémie”, car les gens ont désormais “probablement (…) tendance à se rassembler dans des lieux privés. D’où l’instauration du couvre-feu. S’il est bien respecté, il est possible que l’on puisse réussir à stopper la progression de l’épidémie”, estime-t-il.

“Mais ça c’est une hypothèse”, prévient Yves Coppieters, “parce qu’ils vont peut-être aussi faire la fête chez eux, en groupe, et attendre 6h du matin pour partir”.

On peut s’attendre à ce que le couvre-feu entraîne “une réduction” du taux de reproduction du coronavirus (la vitesse à laquelle l’épidémie s’étend) mais “c’est très difficile de la quantifier”, souligne Daniel Levy-Bruhl, pointant l’absence d’études “qui permettraient d’anticiper l’impact” de cette restriction de circulation.

Le gouvernement a mis en avant l’efficacité du couvre-feu imposé en Guyane en juin et juillet, en s’appuyant sur une étude de l’Institut Pasteur. Mais cet exemple est-il extrapolable à la métropole, alors qu’il commençait plus tôt et que la population guyanaise, plus jeune, a moins de risque de devoir être hospitalisée en cas d’infection?

Même si l’efficacité directement liée au couvre-feu est incertaine, cette “mesure franche, coercitive”, pourrait avoir l’avantage de “frapper l’esprit des gens” et les inciter à davantage de précautions, pour Yves Coppieters, qui juge qu’il y a “clairement une non prise de conscience du danger actuel”.

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