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Dans Caracas confinée, Ruben fait vibrer son quartier depuis son toit

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Dans Caracas confinée, Ruben fait vibrer son quartier depuis son toit

“Salut tout le monde!”: c’est samedi à El Valle, un quartier de Caracas, et Ruben empoigne son micro. Pour rompre la monotonie du confinement engendré par la pandémie, il anime chaque semaine une “émission” retransmise par des enceintes depuis son toit.

Chemise blanche, casquette aux couleurs du Venezuela, accent inimitable de “Caraqueño” pur jus, Ruben Peña, 45 ans, est visiblement dans son élément lorsque débute chaque samedi “Tu voz y la mia” (Ta voix et la mienne), son “émission” uniquement retransmise par trois baffles installées sur son toit.

Et peu importe que ses seuls auditeurs soient ses voisins vivant dans des immeubles en béton ou dans des bicoques au toit en zinc d’El Valle, une zone pauvre de la capitale vénézuélienne durement frappée par le Covid-19.

Pendant trois heures, Ruben passe des chansons du folklore vénézuélien, des tubes, il chante, fait intervenir ses auditeurs et fait même gratuitement la publicité de commerces du quartier.

Lorsque la pandémie a commencé à toucher le Venezuela et le gouvernement de Nicolas Maduro a décrété le confinement à la mi-mars, les bars et boîtes de nuit de la capitale ont été obligés de fermer, provoquant le “désespoir” de Ruben.

“Je ne pouvais plus faire ce que j’aime faire: chanter”, raconte-t-il. “Une nuit, j’ai rêvé que je sortais mes enceintes et que je me mettais à chanter pour les gens (…). Le lendemain, j’en ai parlé à ma femme et je lui ai dit: +je vais essayer et on verra bien si ça plaît+”.

Depuis début avril, “Tu voz y la mia” égaie les samedis d’El Valle et la réponse du quartier a été plus qu’à la hauteur: “ça a été merveilleux”, dit Ruben.

Pour manifester leur enthousiasme, les auditeurs font réfléchir les rayons du soleil sur de petits miroirs depuis leurs fenêtres ou bien ils agitent des drapeaux vénézuéliens.

Ruben a un certain avantage… physique. Sa maison se trouve dans une cuvette, ce qui permet à sa musique et ses paroles d’atteindre plus facilement les maisons situées sur le flanc des collines qui l’entourent.

“Ca apporte de la joie à notre quartier (….), même si ce n’est qu’une fois par semaine”, acquiesce Benji Cegarra, habitante d’El Valle et fidèle auditrice de Ruben.

Car en plein “confinement strict”, les occasions de se divertir sont rares dans la métropole de six millions d’habitants. Et cette situation exceptionnelle risque de durer.

-“Et après le confinement?”-

Le District capital, qui englobe tout Caracas, est désormais l’épicentre de la pandémie de Covid-19 au Venezuela, pays qui compte 30 millions d’habitants. Il concentre un cinquième des plus de 16.000 cas officiellement recensés. Et El Valle est l’épicentre de cet épicentre.

Sur son toit, Ruben se régale de ses propres prouesses au micro. Il s’est fixé comme principe de ne jamais parler de politique, un sujet brûlant dans ce pays ultra-polarisé entre sympathisants chavistes du gouvernement socialiste et ceux de l’opposition réunie autour de Juan Guaido.

Après un morceau de musique, Ruben fait passer “en direct” une fillette qui entonne une chanson traditionnelle au téléphone, puis il lit les messages de Vénézuéliens qui vivent à l’étranger destinés à leurs proches restés à El Valle.

Car Ruben entend bien faire “le lien” entre ses compatriotes restés au pays et ceux qui ont émigré. Il est d’ailleurs directement concerné: comme plus de 5 millions de Vénézuéliens depuis 2015, son fils aîné est parti à cause de l’effroyable crise économique. Il vit désormais au Pérou.

Pendant son programme, Ruben fait aussi la promotion de salons de coiffure, de supérettes ou de serrureries du coin. Il a lui-même un magasin d’articles d’hygiène personnelle qui lui permet de faire bouillir la marmite.

“Je suis musicien professionnel mais je ne vis pas que de la musique”, confie-t-il.

Bien sûr, Ruben ne crache pas sur sa petite notoriété. Mais il affirme “ne pas chercher la lumière”. Difficile quand les auditeurs ne cessent de le congratuler.

Il y a quelques semaines, il raconte qu’un voisin l’a interpellé sur le ton de la rigolade: “On fera quoi sans toi, une fois que le confinement aura été levé?”.

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