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Dans le Bronx, le théâtre irréel d’un incendie meurtrier

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Dans le Bronx, le théâtre irréel d’un incendie meurtrier

Pas de traces de feu sur la façade de l’immeuble, pas d’eau au sol, pas de badauds, le lieu ne laisse rien deviner de la violence d’un incendie qui a fait douze morts jeudi soir dans le Bronx.

Le froid, qui a fait descendre le mercure sous la barre des -10°C durant la nuit, semble avoir gelé la scène, où seuls deux camions de pompiers, gyrophares allumés, rappellent le drame.

Sur le trottoir devant l’immeuble sinistré, de l’eau projetée par les pompiers a gelé sur les branches d’un arbre, rappelant les décorations de Noël qui ont envahi la 187ème rue, à quelques mètres de là.

Dans ce quartier historiquement italien mais aujourd’hui très mélangé, ils sont très peu à s’arrêter pour scruter l’immeuble, derrière le cordon de sécurité, saisis par le vent qui donne une température à -15°C en ressenti.

Deux hommes d’une vingtaine d’années vont et viennent, entre les allées de l’épicerie du coin de la rue et le trottoir, une couverture de la Croix rouge sur les épaules.

Le regard absent, dans le vague, ils refusent de répondre aux questions des journalistes qui les abordent.

“C’est arrivé comme ça”, raconte Rafik Al-Jabali, qui tient l’une des trois épiceries du carrefour le plus proche de l’immeuble, en faisant claquer ses doigts.

Il était au lit, lorsque le feu a pris, explique-t-il, et le temps qu’il mette le nez à la fenêtre de son immeuble, situé quasiment en face du lieu de l’incendie, les pompiers étaient déjà à pied d’oeuvre et une épaisse fumée sombre sortait de plusieurs fenêtres.

Quelques instants plus tard, il a vu évacuée une femme sur un brancard. “Elle était déjà morte”, dit-il, en baissant les yeux.

– “Un lieu de mémoire” –

“C’était très dur”, explique Joel Rodriguez, qui habite au rez-de-chaussée de l’immeuble et a pu sortir de chez lui assez facilement, bien que la fumée ait fait le “noir complet” dans les parties communes.

“J’ai encore les images dans la tête”, dit ce quadragénaire compact aux lunettes sombres. “Je n’arrive pas à les effacer.”

Ces images, ce sont celles de plusieurs de ses voisins, sortis sur des civières, privés de leur dignité, “nus” ou “dévêtus” pour la plupart, dont certains étaient brûlés.

Trois petites filles âgées de un, trois et sept ans ainsi qu’un garçon de sept ans ont perdu la vie dans cet incendie, le pire qu’a connu New York depuis des décennies.

Vendredi, le maire Bill de Blasio a indiqué que le feu avait été déclenché par un petit garçon qui jouait avec la cuisinière à gaz de son appartement.

Dans cet immeuble, il y avait des “gens heureux”, décrit Joel Rodriguez. “L’été, ils sortaient leur barbecue dehors. On était bien. Tout le monde cohabitait sans problème. Il n’y avait pas de problème”.

Joel a passé la nuit à faire des allers-retours entre l’hôpital, où sa femme est hospitalisée après avoir inhalé de la fumée, et sa voiture, dans laquelle il a un peu dormi.

Fatigué, il a du mal à se voir de nouveau chez lui dans cet immeuble de briques claires, construit au début du XXeme sècle et transformé jeudi en cercueil.

“Aujourd’hui, je ne voudrais pas y retourner”, dit-il. “C’est un lieu de mémoire, maintenant.”

Derrière lui, Kenneth Cruiz arrive avec un chariot plein de vêtements. “J’avais mis des affaires de côté pour envoyer aux victimes des ouragans, mais je ne l’ai pas fait”, dit-il.

“Ce matin, ma femme a ajouté trois manteaux, et je suis venu”, dit-il, en marchant vers l’école où sont hébergés la plupart des résidents de l’immeuble qui ont survécu à l’incendie.

Un policier assure qu’il n’y a “personne” dans l’école, même s’ils sont pas moins de sept agents à s’être postés ostensiblement dans le hall d’entrée, et que des dizaines d’officiels vont et viennent.

Il laisse néanmoins Kenneth Cruiz déposer ses vêtements.

“C’est ma bonne action”, dit-il, avec un sourire gêné. “Je suis sûr qu’il y a quelques heures, ces gens là avaient tout. Des cadeaux de Noël, tout. Et aujourd’hui, ils n’ont plus rien.”

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