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En Albanie, la montagne est pleine de poissons

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En Albanie, la montagne est pleine de poissons

En Albanie, dans les tunnels percés à flanc de montagne par le tyran paranoïaque Enver Hoxha, des anchois marinent tranquillement là où étaient entreposées jadis les armes qui devaient défendre l’ancien régime communiste contre les attaques ennemies.

Au coeur du petit pays des Balkans, l’ex-base militaire de Labinot-Fushë s’est muée en usine surréaliste de transformation du poisson. Statues, fresques, photos, le gigantesque site qu’on dirait tout droit sorti de l’imagination d’un Dali égaré au pays du réalisme socialiste est truffé de références historiques et littéraires.

L’entreprise Rozafa, qui a exporté l’année dernière pour 32 millions d’euros de produits de la mer, est née voici six ans sur les décombres d’un ancien camp militaire construit par l’occupant italien pendant la Seconde guerre mondiale.

Au sortir du conflit, les communistes d’Enver Hoxha avaient hérité de la base nichée au pied des montagnes de Griqan.

Le défunt dictateur, qui s’était fâché avec la terre entière — Occident, ex-URSS, ex-Yougoslavie, Chine– y avait fait creuser dans les années 1970 trois tunnels pour protéger ses armes et munitions.

Après la chute du régime, lors d’une rébellion armée contre le pouvoir en 1997, les insurgés avaient complètement saccagé le site et fait main basse sur des Kalachnikov, canons et autres véhicules blindés. Dans toute l’Albanie, un million d’armes s’étaient volatilisées, selon les estimations de l’armée et de la police.

“Dans ces lieux, il n’y avait que des ruines et tout faisait penser au monde d’après Hiroshima”, raconte à l’AFP Gjergj Luca, entrepreneur fantasque de 55 ans, fils d’acteurs ultra connus en Albanie et ancien acteur lui-même.

Aujourd’hui, les portes d’entrée des trois tunnels d’Hoxha sont surmontées de têtes gigantesques de héros de la nation tels que Skanderbeg. Dans les entrailles de la terre, s’alignent des rangées de fûts de saumure remplis d’anchois serrés comme des sardines.

“Ici, on ne sait pas par où on entre et par où on sort”, rigole Vjollca Kaculli, 40 ans, responsable du conditionnement. Les tunnels “sont tellement entrelacés qu’ils sont comme des écailles de poissons”.

– Concombres hongkongais-

Tout près, dans d’immense hangars, des armées d’ouvrières en charlottes bleues lèvent les filets d’anchois au son de la pop diffusée à plein tube. Elles décortiquent aussi des crevettes importées d’Europe du Nord où elles seront réexpédiées ou conditionnent des concombres de mer destinés à Hong Kong.

L’entreprise est le principal employeur de cette région pauvre rongée par le chômage. Près de 1.500 personnes y travaillent, principalement des femmes rémunérées au kilo traité, soit une vingtaine d’euros par jour, le salaire moyen en Albanie.

“Fish City” comporte une crèche, un jardin d’enfants, un cinéma, un centre de formation aux techniques agroalimentaires, une cantine, un immense restaurant fréquenté par toute l’Albanie et au-delà…

Le site peut rappeler le paternalisme des cités ouvrières du XIXème siècle de Grande-Bretagne ou de France mais Gjergj Luca défend un “rêve” au service d’une communauté qui lui offre la possibilité d’avoir une vie sociale, un accès à l’art et à l’histoire.

“Mes rêves et mon travail se sont transformés en état d’esprit, en désir, en motivation pour nous tous”, déclare-t-il au milieu des portraits de Don Quichotte, Jim Morrison ou Winston Churchill.

A une heure de route vers le sud, l’ex-base militaire de Gramsh, autrefois appelée “la ville des Kalachnikov”, héberge aussi depuis décembre les poissons de Rozafa et occupe 200 habitants de la région.

Le site abritait des AK-47 russes et des fusils Simonov fabriqués sous licence chinoise par l’usine d’armements voisine de Çekin, rappelle l’historien Agim Qoku.

“Aujourd’hui, nous n’avons pas besoin des armes, l’emploi, une meilleure vie économique et sociale sont notre vrai combat”, lance Gjergj Luca.

Comme “Fish City”, quelques uns des dizaines de milliers de bunkers et tunnels disséminés par Hoxha à travers l’Albanie ont trouvé une nouvelle vie sous forme de cafés, entrepôts, logements pour SDF ou attractions touristiques.

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