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En France, les champs du désespoir ou le suicide des agriculteurs

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En France, les champs du désespoir ou le suicide des agriculteurs

En France, tous les deux jours, un agriculteur se suicide. En Loire-Atlantique, Michou, qui n’a pas souhaité être filmé, a accepté de livrer son témoignage sur ce drame dont la partition se joue à huis clos. Reportage.

“C’est moi qui l’ai trouvé. C’est terrible ! Quand je l’ai appelé, qu’il ne répondait pas, que j’ai vu sa voiture, je me suis dit, il est arrivé quelque chose à Raymond. Quelque chose de très grave.”

Le 8 juin 2011 vers 5h45, Raymond, l’ami, l’associé de 20 ans, s’est pendu aux poutres de la grange de leur exploitation. “En s’attachant les deux mains pour être sûr de ne pas se louper” laissant Michou “sur le bord de la route”.

Michou a 56 ans, il vit seul dans un petit pavillon de la campagne nantaise. Partout sur les murs, des souvenirs de Dakar, cette ville qu’il a eu l’occasion de découvrir lors des rares vacances qu’il s’est octroyées. Une photo délavée de Raymond prise lors d’un dîner entre amis est accrochée au placard de la cuisine. Un souvenir d’une époque révolue.

Dans le bourg, les gens ignorent son vrai prénom : Jean-Michel. Mais tout le monde connaît Michou, ce producteur de lait courageux, né privé de ses mains et qui a pourtant repris l’exploitation familiale. Ici tout le monde a été bouleversé par l’histoire tragique de Raymond, son ami et frère de terre. Ici, comme souvent dans ce monde paysan, la pudeur l’emporte sur les mots.

“Qu’est ce que je n’ai pas fait, qu’est-ce que je n’ai pas dit ?”

“Je me suis posé beaucoup de questions. Est-ce que c’est de ma faute, qu’est-ce que je n’ai pas fait ? Qu’est-ce que j’ai pas dit ?” Quand des proches s’ôtent la vie, les questions se bousculent. Pourquoi ce jour-là ? Qu’aurais-je pu faire pour l’empêcher ?

Nous avons passé plusieurs jours à recueillir les témoignages d’agriculteurs. Au cours de notre enquête, nous avons été frappées par la banalisation de ce passage à l’acte. Dans le voisinage, la famille, chacun nous a parlé d’une personne suicidée. “Des suicides, il y en a plein… je connais un voisin… j’ai un cousin pour qui c’est compliqué aussi… la course à la production, la course aux investissements, c’est de la folie… et puis l’alcool aussi”, nous livre Michou le ton las.

Pour Raymond ce n’était pas l’alcool, mais la fatigue, le stress, la sécheresse…Cette année-là tout le fourrage pour leurs bêtes est grillé par le soleil.
“On venait de passer une année à 365 jours de travail, à se lever tous les jours à 5 h… en plus la nuit… il s’occupait des vêlages…On est passés de 120 à 180 vaches. Ça ne se fait pas comme cela. Le temps par vache reste le même. Y a un problème ! Y a un problème !”

Tous les deux jours, un agriculteur se suicide

Plus qu’un problème…un drame qui touche tout le monde agricole. Tous les deux jours, un agriculteur se suicide en France. La production laitière et l’élevage bovin sont les secteurs les plus touchés, avec une surmortalité par suicide de plus de 50 % par rapport à la moyenne nationale. La Bretagne et les Pays de la Loire détiennent le funeste record.

Dans le vivant, comme ils disent, en plus des tâches quotidiennes, il faut soigner les bêtes quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, quel que soit le jour de l’année. Pas de répit.

Chez ces hommes, la passion du métier est ancrée dans le regard et les années de labeur marquées sur leur corps. Dans ce monde de taiseux, Michou a osé lever le tabou sur ce mal-être : “Je me suis toujours dit qu’il ne fallait pas que j’en arrive là … pourtant j’ai plein de raisons. Alors au début, je me suis fait aider.”

Des aides spécifiques mises en place

Pris de court par l’ampleur du phénomène, l’État a chargé la mutuelle sociale agricole (la MSA) de déployer un plan d’action contre le suicide des agriculteurs en 2011. Et depuis 2014, un numéro d’appel gratuit “agri-écoute” ouvert 24h/24 et 7j/7 (09 69 39 29 19). Plus de 4 000 personnes ont composé ce numéro ; à l’autre bout du fil, des psychologues spécifiquement formés “à la gestion des situations de crise suicidaire”.

Dans la permanence de SOS Paysans 44, association membre du réseau Solidarité paysan, créée il y a près de 20 ans, Isabelle Grégoire et Véronique Louazel suivent près de 80 situations. Principalement des cas de surendettement.

“Ce que disent les agriculteurs, c’est que la souffrance psychique arrive, puis le suicide, à un moment où il n’y a plus d’issue, plus de solution. C’est par exemple avoir un prêt important à la banque et de ne pas pouvoir honorer ses échéances, de ne pas pouvoir payer le vétérinaire. Pourquoi ? Parce que le prix de vente de sa production ne permet pas de couvrir les dépenses. Et donc les gens travaillent beaucoup plus en se disant, je vais travailler encore plus. Le corps s’épuise, ils n’ont plus d’énergie. Et la dette continue de se creuser et ils se disent, mais comment je peux faire ? Je travaille plus et pourtant je n’arrive pas à sortir de cette situation.”

Et Isabelle Grégoire de préciser “les causes sont multifactorielles. Il y a les causes économiques bien sûr, mais il y a quand même un phénomène qui est important en agriculture, c’est l’isolement. C’est un risque supplémentaire de passage à l’acte.”
Il existe aussi une pression sociale “la honte, on a du mal à dire qu’on est en difficulté, ce qui entraîne une prise en charge trop tardive et le sentiment d’échouer là où les générations précédentes ont réussi.”

Michou, lui, a décidé de raccrocher pour ne pas s’épuiser davantage. Avant cela, il rêve de transmettre son exploitation à son neveu. Non pas pour l’argent, mais pour que ces longues heures de labeur ne finissent pas en friche.

Première publication : 26/10/2018

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