Home Pure People “Gros veinard ! Tu vas te faire entretenir et te la couler douce !”

“Gros veinard ! Tu vas te faire entretenir et te la couler douce !”

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TÉMOIGNAGES Il y a deux ans, William a mis sa carrière entre parenthèses pour suivre son épouse en Pologne. Devenu “époux d’expat et homme au foyer”, il nous raconte sa nouvelle vie, où le sexisme ordinaire a la dent dure !

“Août 2015, nous débarquons à Cracovie, en Pologne. Notre Citroën Berlingo kaki, fraîchement lavée, a plutôt fière allure. Seul le bruit du moteur trahit les 1 200 km qui nous séparent de notre Belgique natale. Mon épouse Norah, nos fils Henri et Germain et moi traversons le centre-ville de Cracovie pour rejoindre notre résidence, dans la banlieue verte perchée sur les collines environnantes. Au fil de notre ascension, les maisons deviennent de plus en plus cossues et modernes. Ici comme ailleurs, les hauteurs sont prisées par les riches. Mais à Cracovie, s’établir en hauteur permet également d’échapper en hiver au smog qui étouffe littéralement la ville, laquelle se chauffe encore majoritairement au charbon.

Si je suis au volant de notre multispace, c’est ma femme Norah qui est le moteur de ce voyage. Avec ses dix ans d’expérience dans le milieu bancaire, tantôt experte, tantôt responsable d’équipe, Norah a le profil parfait de l’employée expérimentée que son entreprise recherche pour des missions à l’étranger. Elle a postulé pour un poste à responsabilité à l’international et sa candidature a été retenue pour une mission de deux ans en Europe centrale. Pendant deux ans, j’ai donc accepté de vivre l’aventure de l’expatriation du point de vue de “celui qui suit”, “celui qui ne travaille pas”, “celui qui est au foyer”. Quelques mois plus tôt, l’annonce de notre départ avait bien sûr suscité des réactions. Je connaissais déjà le point de vue de mes parents sur l’expatriation…

“William, je ne veux pas que tu fasses le ménage !” s’insurge ma mère

Je suis le dernier-né et le cadet d’une fratrie de trois sœurs ; l’une d’elles avait entrepris de suivre son mari aux Etats-Unis. Mes parents s’étaient montrés plus que réticents. A les entendre, l’expatriation était un mirage qui tenait rarement ses promesses et offrait comme seules certitudes l’isolement du conjoint et des complications matérielles. Mon père me posa la question légitime de mon emploi et de ma carrière. J’ai pu le rassurer en lui précisant qu’en tant que fonctionnaire chargé d’études sociologiques sur le marché de l’emploi en Belgique, j’avais eu l’accord de ma hiérarchie pour une disponibilité de deux ans, avec la garantie de retrouver mon poste à mon retour.

Je ne m’attendais pas à la réaction plus que surprenante de ma mère : “William, être au foyer, ce n’est pas ton métier ! Je ne veux pas que tu fasses le ménage !” Il est utile de préciser que ma mère avait toujours été “femme au foyer”. Elle s’était consacrée à notre éducation, à mes trois sœurs et moi, à l’entretien de la maison et du jardin. Missions qu’elle avait accomplies avec conscience et succès. Toutefois, il lui était arrivé de le regretter, mais je ne pensais pas que ce soit au point qu’elle exige que je ne fasse pas de même.

“La vraie question était : qu’allais-je faire ?”

Je suis certain que le fait que je sois un homme n’était pas ce qui provoquait cette réaction de sa part. La raison était plus profonde : “être au foyer” n’était un rôle pour personne, et surtout pas pour quelqu’un qui avait goûté à une autre vie. Une vie qui lui avait été refusée à elle. L’annonce aux amis ouvrit la porte aux plaisanteries en apparence légères, mais non sans fondement.

“Gros veinard ! Tu as tiré le gros lot ! Tu vas te faire entretenir et te la couler douce !”, me taquinèrent des amis faussement envieux. Cette dernière plaisanterie posait toutefois une vraie question : qu’allais-je faire ? Ma réponse immédiate fut de rester dans le registre de l’humour. “Je serai gigolo, consolant les autres femmes d’expats esseulées dans les quartiers résidentiels pareils à ceux de Wisteria Lane, dans Desperate Housewives.” C’était une double maladresse. J’ai dû affronter le regard courroucé de Norah qui appréciait peu la plaisanterie, puis les rires moqueurs des amis selon qui je n’avais pas les moyens de mes ambitions.

“Sur les 200 papas de l’école, nous ne sommes que 2 à suivre notre épouse”

Début septembre 2015, quelques semaines après notre arrivée, s’annonçait déjà la rentrée scolaire. L’un des avantages de l’expatriation réside dans la scolarité des enfants : l’école privée internationale est aux frais du patron ! Germain et Henri allaient goûter à l’éducation “high level”, made in USA. Ce jour-là, j’ai pris conscience de mon statut de “conjoint suiveur pas comme les autres”. Et ce d’entrée de jeu, lorsque la femme d’un collègue de Norah vint me saluer. “Je m’appelle Sigrid, la femme d’Armand. C’est toi l’homme qui suit sa femme ?” Etre envoyé à l’étranger par son employeur dans le cadre d’une promotion est, il est vrai, majoritairement réservé aux hommes.

Les expats ne sont des femmes que dans 31 % des cas. Toutes ne semblent pas pour autant s’encombrer d’un mari à l’étranger, puisque les époux “d’expats” ne représentent que 9 % des conjoints. A Cracovie, parmi les deux cents papas de l’école, peuplée majoritairement d’enfants d’expatriés, nous ne sommes que deux à suivre notre épouse. Je suis le seul dans la communauté francophone. Assurément, les types comme moi, “l’époux d’expat”, ne courent pas les rues…”

Cette histoire vous a plu ? Découvrez le deuxième épisode dans le Closer n° 655, en vente actuellement : “Les autres expats s’inquiètent : Tu ne fais pas le ménage, quand même ? Euh, si, pourquoi ?”

Et retrouvez son histoire dans Un homme au foyer à la conquête du monde, de William Quentin (éd. La Boîte à Pandore)