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Ingrid Betancourt: “Ce que j’ai vécu dans la jungle m’aide à faire face au confinement”

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Ingrid Betancourt: “Ce que j’ai vécu dans la jungle m’aide à faire face au confinement”

“Il y a quelque chose dans ce que j’ai vécu dans la jungle qui m’aide à faire face à ce confinement”: l’ancienne otage de la guérilla des FARC, la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt, raconte à l’AFP comment l’expérience de sa captivité (2002-2008) lui sert pour vivre cette situation nouvelle.

Seule dans une maison à Oxford, ville où elle étudie la théologie, l’ex-candidate à l’élection présidentielle en Colombie, 58 ans, s’est trouvée piégée au Royaume-Uni lorsque le pays a décrété un confinement général.

Q : Comment faites-vous face à la solitude du confinement ?

R : Pendant ma captivité, j’ai été isolée de mes compagnons pendant des années, alors disons que c’est quelque chose que je connais déjà… Actuellement, j’ai établi une routine quotidienne: me lever à telle heure, commencer à travailler à telle heure, prendre une pause déjeuner à telle heure, retourner au travail à telle heure, courir à telle heure et ensuite me détendre à telle heure. Cette routine m’équilibre beaucoup car je sens que ce que je fais est productif. Je ne me sens pas seule.

Q : Qu’est-ce qui vous a aidée à faire face à l’expérience de la captivité ?

R : L’organisation de l’espace. Lorsque j’étais en captivité, j’étais attachée par le cou à un arbre. Quand vous êtes attaché, vous avez vraiment un espace très limité pour vous déplacer. Alors je le compartimentais. J’avais ainsi un espace où je mangeais, je me déplaçais avec la chaîne dans un autre espace pour faire de l’exercice physique, je me déplaçais dans un autre espace pour lire, simplement réfléchir ou écouter la radio. Je changeais toujours de place et cela m’aidait à me sentir plus libre parce que je pouvais choisir où me trouver. C’est quelque chose que je fais en ce moment.

Q : Bien que les situations ne puissent pas être comparées, quel enseignement peuvent tirer de votre expérience les millions de personnes actuellement confinées ?

R : Parier que les choses vont s’arranger. Cela n’exclut pas de traverser des moments terribles, des drames effrayants, une douleur immense. Mais malgré la douleur, quand le temps passe et qu’on regarde en arrière, on se rend compte qu’on a laissé derrière soi des choses très positives. C’est ce qui fait que quand je me lève le matin, j’ai une grande joie de vivre, parce que j’attends que de nombreux miracles aient lieu.

R : Vous avez perdu votre père alors que vous étiez en captivité. Aujourd’hui, de nombreuses personnes n’ont pas pu dire au revoir à leurs proches en raison de la pandémie…

R : Quand j’ai appris dans la jungle que mon père était mort, je suis pratiquement devenue folle. Mais il faut respirer et continuer à vivre, et on apprend à continuer à vivre, à respirer, à manger, à marcher, à continuer à exister. Cette douleur vous accompagne, mais elle devient comme une autre forme d’amour, c’est-à-dire qu’il y a dans la douleur de l’absence de celui que vous aimez une expression d’amour, une autre façon de dire à cette personne combien vous l’aimez. Il faut être généreux en laissant partir paisiblement la personne décédée.

Q : Qu’est-ce qui a été le plus difficile à retrouver lorsque vous avez recouvré votre liberté ?

R : Je n’ai rien retrouvé de ma vie précédente. Tout avait tellement changé qu’il n’y avait pas d’espace pour recommencer. Tout ce que je voulais, c’était aller me reposer avec ma famille. J’avais besoin de cet espace pour revenir aux racines de ce que j’étais, pour rétablir des relations très profondes avec les gens que j’aime. J’en suis venu à inventer une nouvelle vie avec ce que cela implique.

Q : Selon vous, qu’est-ce qui sera le plus dur après la pandémie ?

R : Les gens, lorsqu’ils retourneront à la vie normale, auront le sentiment qu’il y a des choses dans cette vie d’enfermement qu’ils ne voudront pas perdre. (…) Vous allez à 80 rendez-vous, vous faites mille choses, et soudain tout s’arrête et vous commencez à penser : tout cela était-il si nécessaire, dois-je courir dans tous les sens ou puis-je trouver une formule où je puisse être maître de ma vie ?

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