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Jugement Monsanto : en Afrique, la fin du glyphosate n’est pas pour demain

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Jugement Monsanto : en Afrique, la fin du glyphosate n’est pas pour demain

Si, en Afrique, certains s’inquiètent de la condamnation de Monsanto à payer 290 millions d’euros à un jardinier américain, qui a contracté un cancer après avoir utilisé le Roundup, le continent n’est pas prêt à tourner la page du glyphosate.

“Nous avons eu la preuve au Bénin de la présence du glyphosate dans les poissons, dans les aliments… Beaucoup de jeunes meurent du cancer dans le pays.” Ce cri d’alarme d’Enagnon Brice Sohou, docteur en gestion de l’environnement et spécialiste des risques et catastrophes sur la radio allemande Deutsche Welle, lundi 13 août, est caractéristique des inquiétudes qu’a suscitées en Afrique la condamnation du géant de l’agrochimie Monsanto aux États-Unis. La puissante firme doit payer près de 290 millions de dollars de dommages et intérêts au jardinier Dewayne Johnson qui l’accusait d’être responsable de son cancer. Il reproche à la filiale du groupe allemand Bayer d’avoir caché la dangerosité du Roundup Pro, l’herbicide le plus utilisé dans le monde.

Jugée historique par des organisations de protection de l’environnement, cette condamnation a relancé en Europe et aux États-Unis les débats sur l’interdiction du glyphosate et son caractère cancérigène. Alors que le Centre international de la recherche sur le cancer (Circ) a classé le produit vedette de Monsanto ‘’cancérigène probable chez l’humain’’, l’Union européenne rechigne à faire de même et a autorisé en novembre 2017 l’usage de l’herbicide pour cinq ans.

En Afrique, où le glyphosate est massivement utilisé dans l’agriculture, principalement dans la production de coton, des voix de la société civile s’élèvent pour le faire interdire. Au Bénin, l’ONG RSE-Benin salue dans un communiqué la décision du tribunal américain “longtemps attendue et qui apparaît comme un fertilisant de plusieurs autres décisions devant aboutir à travers le monde à d’autres condamnations similaires”. L’organisation révèle en outre la réception, en avril, au port de Cotonou, par le ministère de l’Agriculture béninois de 900 000 litres de glyphosate pour le compte de la campagne cotonnière 2018-2019.

Enjeu économique

Avec une production de 587 000 tonnes, cette année, le Bénin est devenu le troisième pays producteur de coton en Afrique, derrière le Mali (700 000 tonnes) et le Burkina Faso (613 000 tonnes).  “Avec [le glyphosate], les producteurs de coton sont en mesure d’augmenter les surfaces de culture, traiter efficacement le coton et déployant moins d’efforts”, se justifiait Gaston Dossouhoui, le ministre de l’Agriculture béninois, lors de la réception du produit controversé, le 6 avril devant des journalistes.

“Il y a un véritable enjeu économique. Parce que dans ces pays, le coton reste la première culture d’exportation”, explique Sylvain Ouedraogo, secrétaire permanent du Comité sahélien de gestion des pesticides. La structure qui dépend de l’Institut du Sahel, dans la capitale malienne, homologue les pesticides en Afrique de l’ouest et dans quelques pays d’Afrique centrale. Parmi les herbicides homologués, on retrouve le Roundup 360 K et le Roundup 450 K de Monsanto et beaucoup d’autres produits chinois à base de glyphosate.

Moins cher parce que tombé dans le domaine public en 2000 et très efficace, le glyphosate “permet aux producteurs d’aller très vite. Ils ont souvent plusieurs cultures. Le glyphosate tue rapidement les mauvaises herbes. Il est très utilisé pour le semis direct”, explique Athanase Yara, chef du service agronomie de l’Union nationale des cotonculteurs du Burkina-Faso (UNCB).

“Être moins dans l’émotion”

“Le glyphosate présente l’avantage d’être non sélectif, c’est un herbicide à large spectre qui permet de tuer tous les végétaux qui ne sont pas désirés, explique Sylvain Ouedraogo. À la différence des herbicides sélectifs qu’on utilise selon les familles d’adventices. Il a aussi un caractère systémique : quand vous l’appliquez, il pénètre dans la plante, une fois pour de bon, peu importe les intempéries.”

Quant à son impact sur la santé des producteurs et la probabilité que le produit soit cancérogène, l’expert répond : “Il faut être moins dans l’émotion. Les inquiétudes de la société civile sont légitimes. Mais pour l’instant, aucune étude scientifique n’a démontré l’effet cancérigène du glyphosate. Je fais référence à la conclusion d’une expertise en mai 2016 à Genève. Il faut atténuer le pessimisme au niveau des pesticides”.

>> À lire : La condamnation de Monsanto aux États-Unis relance le débat sur l’interdiction du glyphosate

Sylvain Ouedraogo évoque le rapport du Joint meeting on pesticide residues (JMPR), un comité commun à l’OMS et à la FAO. Ce dernier a conclu que “le glyphosate était peu probablement génotoxique [toxique pour l’ADN, NDLR] aux expositions alimentaires anticipées” dans la population. “Peu probablement” mais pas certainement.

Cependant, l’expert convient qu’il faut accentuer l’information et la sensibilisation auprès des producteurs. “Il faut une utilisation responsable du pesticide. Quand bien même, il n’est pas cancérigène, il reste dangereux comme tout autre pesticide’’.

En France, certains spécialistes prônent depuis longtemps une agriculture sans glyphosate. “Il est parfaitement envisageable pour des agriculteurs conventionnels de passer au désherbage sans glyphosate. Oui, ils vont se casser un peu la tête, mais nous, dans la bio, le faisons déjà depuis des années !”, a affirmé Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale de l’agriculture biologique. Mais en Afrique, l’heure n’est pas encore à la polémique.

Première publication : 15/08/2018

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