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Langue des signes avec bébé: outil de développement, moyen de communication ou simple gadget?

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Langue des signes avec bébé: outil de développement, moyen de communication ou simple gadget?

Un petit garçon de 12 mois qui demande “encore” de “l’eau”. Une petite fille d’un peu plus d’un an qui souhaite qu’on lui donne un “livre”. Ou une autre de 15 mois qui réclame un “bonbon”. Effet de mode ou véritable atout pour communiquer avec les tout-petits, la langue des signes avec les bébés fait de plus en plus en plus d’adeptes. En témoignent les nombreux livres consacrés au sujet et les structures d’accueil de la petite enfance qui s’y convertissent un peu partout en France.

“Capables de s’exprimer avant de parler”

C’est le cas dans les crèches d’ABC puériculture, qui en compte une vingtaine à Paris. “Cela permet de voir les bébés autrement et de proposer un autre type de communication”, témoigne pour BFMTV Florence Millot, psychologue en charge de la formation continue au sein de cette association.

“Même moi, ma vision de l’enfant a changé. Les bébés sont capables de s’exprimer clairement, ce qui est très intéressant entre 9 et 20 mois, avant qu’ils ne commencent à parler. C’est magique. Et puis cela diminue la frustration, ils sont capables de dire ce qu’ils veulent ou ne veulent pas, qu’ils ont froid, faim.”

Signer dès 9 mois

La langue des signes pour bébé, “c’est de la communication gestuelle”, explique à BFMTV Marie, interprète en langue des signes et blogueuse. “C’est un langage que l’on met en place avant l’acquisition de la parole à travers des signes simples. Cela sert à communiquer avec son bébé avant qu’il ne puisse parler ou en parallèle de ses premiers mots”, ajoute-t-elle.

La langue des signes pratiquée avec les bébés s’adresse aussi bien aux entendants qu’aux non-entendants. Pratiquée dès l’âge de 6 ou 8 mois, les tout-petits peuvent à leur tour signer à partir de 9 à 10 mois. “C’est un langage de transition”, remarque Marie. La jeune femme, qui pratique la langue des signes avec sa petite fille, publie régulièrement des vidéos dans lesquelles elle explique comment signer avec son jeune enfant. 

“Il s’agit de ne signer que par petits mots-clé et non de formuler des phrases entières. La langue des signes a sa propre structure, sa propre grammaire et sa propre culture, comme toutes les langues.”

“Ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent pas parler qu’ils n’ont rien à dire”

Avec les bébés, ce sont des signes empruntés à cette langue qui sont parfois modifiés. “Dès qu’on prononce le mot à l’oral, on ajoute le signe. La seule règle, c’est qu’il faut répéter, ajoute Marie. C’est un bénéfice, on gagne une année de communication avec bébé. Une année où on évite beaucoup de pleurs, de cris. Cela va lui permettre de se faire comprendre sur certaines choses.”

Pour Séverine Gault, secrétaire de l’association Signe et dis-moi, qui propose des ateliers avec les parents et des formations aux professionnels de la petite enfance dans toute la France, “ce n’est pas parce que les bébés ne peuvent pas parler qu’ils n’ont rien à dire”, assure-t-elle à BFMTV. “Les compétences vocales arrivent après les compétences physiques. L’enfant peut utiliser son corps. C’est en cela que c’est novateur: l’emploi de compétences physiques inexploitées.”

Elle-même a quatre enfants. Elle a utilisé la langue des signes pour communiquer avec sa dernière lorsque celle-ci était petite. “Un après-midi, elle avait 14 mois, elle est venue me voir pour me demander en signant de prendre le bain. Elle m’a ensuite demandé de manger alors qu’il était encore tôt. Puis elle a signé pour m’indiquer qu’elle voulait dormir. C’était la première fois qu’elle faisait ces trois signes. Ça a été une révélation. Elle était fatiguée et demandait à ce qu’on avance le rituel du soir. Au lieu d’un enfant bougon et grincheux toute la soirée, tout s’est passé dans le calme, sans heurt, un peu plus tôt que d’habitude.”

Stimuler le développement intellectuel?

Cette ancienne professeure des écoles considère que la langue des signes permet aux bébés une entrée précoce dans le langage. “Elle est au langage ce que la marche à quatre pattes est à la marche. Certains enfants passent directement de la position couchée à la position debout, d’autres passent par une période à quatre pattes, plus ou moins longue.” Pour Séverine Gault, la langue des signes avec les bébés est “une communication signée accompagnée de la parole”.

Selon tous ces pratiquants, la langue des signes chez les bébés réduit leurs colères, fortifie les liens avec les parents, renforce leur estime personnelle, stimule leur développement intellectuel et augmente leurs capacités cognitives. Une étude américaine publiée dans Science en début d’année a conclu que les bébés âgés de 6 mois sont bel et bien capables de différencier les gestes qui relèvent du langage de ceux qui ne sont pas signifiants. Bien plus que ceux âgés d’un an, ce qui signifierait “qu’il existe une fenêtre de développement critique pour l’acquisition de langues non-verbales, auxquelles les enfants sont souvent exposés tardivement”, pointe Sciences et avenir.

Des preuves scientifiques insuffisantes

Mais du côté des scientifiques, les points de vue sont contradictoires et bien plus nuancés. Certains, comme des chercheurs de l’université du Texas, ont tranché en faveur d’un impact “positif significatif” sur le développement de la communication, de la cognition et de la sociabilité des enfants.

D’autres sont plus mesurés, comme ces chercheurs de l’université d’Utah, qui ont conclu à l’absence de bienfaits, faute de preuves scientifiques suffisantes. Une étude britannique comparative a quant à elle assuré que la pratique ou non de la langue des signes ne faisait finalement aucune différence dans le développement du langage des bébés et qu’aucune étude sérieuse ne permettait d’affirmer qu’elle augmentait le QI ou renforçait le lien avec les parents.

C’est également l’analyse d’Anne Christophe, directrice de recherche au CNRS et directrice du laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique à l’ENS, qui estime que “la langue des signes chez les bébés n’a jamais été validée comme améliorant significativement le développement du langage”. Mais “il n’y a pas non plus d’évidence que cela perturbe son développement”, pointe-t-elle pour BFMTV.

“Ils apprennent des signes, environ une vingtaine par enfant en moyenne dans les études, mais ils apprennent aussi des mots parlés en compréhension, possiblement par les mêmes mécanismes. Quant à la question de la réduction de la frustration, ça n’a tout simplement jamais été testé.”

Une “ouverture” à la communication?

Pour Chantal Néel, présidente de l’association Signe avec moi, qui propose également ateliers avec les parents et formation aux professionnels, incidence sur le développement intellectuel ou non, il s’agit avant tout d’une “ouverture” et d’un “moyen de communiquer, comme l’est la langue française”. De son point de vue, la langue des signes est “un plus”.

“Ce n’est pas un apprentissage, indique-t-elle à BFMTV. Au fur et à mesure, l’enfant va s’emparer de ces signes par imprégnation, se les approprier et les reproduire. Ils peuvent pratiquer cinq, dix et jusqu’à 100 signes avant le premier mot. Avec l’apparition de la parole, plus l’enfant va parler, moins il va signer.”

“C’est du business”

Mais pour Michèle Guidetti, professeure de psychologie du développement à l’université de Toulouse et directrice adjointe du laboratoire cognition, langues, langage, ergonomie, cette tendance est “ridicule”. “C’est du business importé des États-Unis. D’abord, la langue des signes pour bébé n’existe pas. Et puis laissons les bébés vivre. Mais si cela amuse les parents, pourquoi pas, ça occupe.”

Selon cette spécialiste du développement de la communication, les bébés s’expriment et pointent déjà, et n’ont pas besoin de cela. “L’acquisition du langage est ‘naturellement’ multimodale, l’enfant apprend des mots, des gestes en grandissant et dans l’interaction avec les autres.” Seul intérêt selon elle: la communication avec les bébés sourds.

“90% de ces bébés naissent dans des familles entendantes, cela peut être un vrai plus dans les crèches où se trouve du personnel signeur. Mais pour les autres, plutôt que de rentrer là-dedans, on ferait mieux de repérer et d’être attentif aux enfants qui ne pointent pas, souvent le signe d’autres problèmes, comme l’autisme.”

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