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Le “candidat menotté”: un opposant au Kremlin en campagne depuis sa prison

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Le “candidat menotté”: un opposant au Kremlin en campagne depuis sa prison
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“Le candidat menotté”. C’est ainsi qu’Andreï Pivovarov signe sa lettre, envoyée depuis la prison de Krasnodar, de facto son QG de campagne pour les législatives de ce weekend en Russie.

Dans la ville de Krasnodar, l’équipe de campagne de cet opposant au Kremlin arpente les rues, demandant aux passants de lui écrire.

Car ce dernier ne peut pas aller à leur rencontre tracts en main, étant embastillé derrière de hauts murs de béton surmontés de barbelés dans cette ville de Russie méridionale.

Arrêté fin mai, Andreï Pivovarov et ses soutiens affirment qu’il a été happé par la vague de répression qui balaie l’opposition depuis des mois, à l’approche des élections législatives.

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Depuis janvier, la plupart des opposants susceptibles de se présenter se sont retrouvés hors jeu. La figure de proue de l’opposition, Alexeï Navalny, est en prison après avoir survécu à un empoisonnement, et la plupart de ses alliés sont soit en exil, soit bannis des élections.

“Je veux que les gens qui découvrent ma campagne comprennent que désormais, ceux qui disent la vérité sont jetés en prison, juste pour leurs propos”, écrit Andreï Pivovarov dans une lettre manuscrite adressée à l’AFP depuis sa cellule.

Reconnaissant que ses chances de l’emporter sont infimes, l’opposant de 39 ans a indiqué que sa candidature était avant tout destinée à porter ce message.

– “Bâillonné” –

Cette bataille, il la mène en passant des messages à un avocat qui les remet à son directeur de campagne. Celui-ci coordonne à son tour quelques dizaines de bénévoles de Krasnodar, Moscou et sa ville natale de Saint-Pétersbourg.

Andreï Pivovarov avait annoncé en 2020 son intention de se présenter à Moscou.

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Mais après le retour en Russie et l’arrestation d’Alexeï Navalny, qui se trouvait en convalescence après une tentative d’empoisonnement dont il accuse le Kremlin, les autorités ont rapidement muselé tous leurs détracteurs.

Plusieurs médias indépendants et l’ONG “Golos”, spécialisée dans la supervision électorale, ont en outre été classés “agents de l’étranger”, un statut controversé qui complique sérieusement leur fonctionnement.

En tant qu’ancien responsable du mouvement Open Russia, fondé par l’opposant et ex-oligarque exilé Mikhaïl Khodorkovski et interdit depuis 2017, Andreï Pivovarov était dans la ligne de mire.

En mai, les forces de l’ordre l’ont extirpé d’un avion prêt à décoller de Saint-Pétersbourg vers Varsovie. Accusé de militantisme pour une organisation “indésirable”, il risque six ans de prison en raison d’un post publié sur sa page Facebook en 2019.

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Les autorités veulent “me bâillonner”, écrit-il, “c’est pour cela que le dossier a été lancé à Krasnodar, loin de Moscou et Saint-Pétersbourg” où les relais de l’opposition sont plus forts.

Sur au moins sept candidats anti-Kremlin déclarés ayant été arrêtés, il est le seul à avoir pu rester dans la course électorale.

Le petit parti libéral Iabloko, formation historique tolérée par le Kremlin, l’a inscrit sur sa liste de Krasnodar, un geste qui se veut “humanitaire”.

Mais l’analyste politique Alexandre Kynev note que l’effet de sa candidature sera quasi nul, Iabloko n’ayant jamais dépassé les 2% de votes dans cette ville d’un million d’habitants, dominée par le parti Russie Unie du président Vladimir Poutine.

– “Autocratie dure” –

Selon M. Kynev, cette exception, destinée probablement à canaliser une part du vote contestataire, ne change rien à la stratégie de base des autorités qui veulent imposer leur légitimité “par la force”.

Les soutiens bénévoles de M. Pivovarov n’ont pas échappé aux pressions.

Saïdanvar Soulaïmonov, un Tadjik de 22 ans qui résidait à Moscou de longue date, dit avoir écopé d’une interdiction d’entrée en Russie de 40 ans. Interrogé par l’AFP à ce sujet, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu.

A Krasnodar, Roman Pilipenko, avocat de 27 ans, dit avoir rejoint la campagne de l’opposant, malgré les risques, pour dénoncer “l’injustice” et dire aux Russes que leur pays “glisse vers une autocratie dure”.

Posté devant un supermarché à une centaine de mètres de la prison, il présente son candidat aux passants, retraités comme adolescents, qui s’arrêtent pour l’interroger sur l’opposant.

De l’autre côté de la rue, un vendeur de pastèques observe lui la chute du panneau électoral à l’effigie de M. Pivovarov, balayé par le vent. “C’est mauvais signe”, souffle-t-il.