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Le pont de la discorde entre la Croatie et la Bosnie

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Le pont de la discorde entre la Croatie et la Bosnie

Pero Brbora pêche ses coquillages en Croatie mais doit franchir deux frontières pour les vendre… en Croatie. Il attend depuis des années la construction du pont de Peljesac, au coeur d’une crise entre son pays et la Bosnie voisine.

La vie de ce conchyliculteur de 57 ans est soumise au découpage façon “patchwork” des Balkans. Hérité des frontières entre ex-républiques yougoslaves, ce découpage reste une promesse d’instabilité.

Afin d’offrir à une Bosnie-Herzégovine enclavée un accès maritime à l’Adriatique, une bande côtière d’une dizaine de kilomètres lui a été laissée autour du port de Neum. Ce qui pour conséquence de séparer de leurs compatriotes 90.000 Croates, dont les habitants de la cité touristique de Dubrovnik.

Pour aller du petit port de Zamaslina à Makarska, où il vend sa pêche dans des restaurants, Pero Brbora met jusqu’à quatre heures, surtout en période touristique. “S’il n’y avait pas de frontières, on pourrait franchir cette centaine de kilomètres en une heure et demie”, dit-il. Mais il lui faut franchir deux postes-frontières et traverser Neum, port bosnien, dix kilomètres qui peuvent se transformer en une “éternité”.

Depuis des années, la Croatie entend remédier à cette absurdité en construisant un pont de 2.400 mètres de long, pour enjamber le bras de mer face à Neum. Comme en témoignent deux pylônes plantés de chaque côté du détroit, elle avait même entrepris des travaux, interrompus en 2007.

– Frigo transfrontalier –

En juin, l’Union européenne, dont la Croatie est membre depuis 2013, a avalisé le financement à hauteur de 85% de cet ouvrage, d’un coût total estimé à 420 millions d’euros.

“Ce pont changerait tout pour nous, il nous faciliterait la vie”, dit Gordana Pincevic, propriétaire d’un vignoble à Peljesac en Croatie, qui illustre son quotidien ubuesque: “Quand je vais acheter un frigo à Split (Croatie), au retour il faut prouver aux douaniers bosniens que le frigo ressortira de Bosnie, puis aux douaniers croates qu’il a été acheté en Croatie…”

En Bosnie, le pont n’est pas accueilli avec enthousiasme. Le chef politique des Bosniaques musulmans, Bakir Izetbegovic, a appelé la Commission européenne à “arrêter la procédure d’octroi” des fonds. La construction du pont de Peljesac “sans accord de la Bosnie est illégale et représente une violation de la Convention de l’ONU sur le droit de la mer”, prévient le membre de la présidence tripartite de la Bosnie.

Beaucoup affirment que le pont gênera voire empêchera l’entrée des bateaux de fort tonnage. Sarajevo entend négocier au préalable un accord pour décider d’un corridor maritime lui offrant un accès aux eaux internationales.

– ‘On construira le pont’ –

“On construira le pont”, lui a rétorqué le Premier ministre croate Andrej Plenkovic: “Les caractéristiques techniques du pont sont telles qu’elles permettront un passage sans entraves à tout navire qui pourrait accoster à Neum”.

La distance entre les deux pylônes centraux sera de 200 mètres. Face à l’insistance de la Bosnie, les caractéristiques du pont ont été modifiées, sa hauteur passant notamment de 35 à 55 mètres, ce qui a “augmenté le prix initial du projet”, explique le gouverneur de Dubrovnik, Nikola Dobroslavic.

Dans sa bataille, la Bosnie a un handicap: son incapacité à opposer une réponse institutionnelle à Zagreb. Le pays est divisé entre Bosniaques, Serbes, et Croates. Le représentant de cette communauté dans la présidence tripartite, Dragan Covic, a déjà dit qu’il ne voyait “aucun obstacle formel ou juridique à la poursuite du projet”: “Les deux pays profiteront de la construction du pont, surtout la ville de Neum”.

Selon le spécialiste du droit international croate Davorin Rudolf, la Bosnie a un autre handicap: elle “n’est pas dans l’UE et il est difficile de savoir quand elle le sera”. Et “l’Europe veut des frontières extérieures” stables, ajoute le professeur. La Croatie entend intégrer en 2019 l’espace Schengen, soit trois ans avant la fin prévue de la construction du pont.

Bien que Croates en quasi-totalité, les 4.600 habitants de Neum, eux, ne voient pas tous le pont d’un bon oeil. Certains s’inquiètent de ses répercussions sur le tourisme, un secteur majeur de l’économie croate.

Désignant une tablée de touristes étrangers, le serveur Marin Danicic, 21 ans, soupire: “Si le pont est construit, ils ne passeront plus par là…”

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