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Libéré, un chroniqueur espère voir le journalisme turc sortir du “coma”

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Libéré, un chroniqueur espère voir le journalisme turc sortir du “coma”

Le journalisme en Turquie “est à l’article de la mort” mais il peut encore sortir de son “coma”, estime le journaliste Kadri Gürsel après avoir passé près d’un an en prison avec des collègues du quotidien d’opposition Cumhuriyet.

Libéré le mois dernier après 330 jours passés derrière les barreaux, M. Gürsel, chroniqueur et journaliste depuis les années 1990, est poursuivi dans le cadre d’un procès controversé visant Cumhuriyet.

Près d’une vingtaine d’employés du quotidien, fondé en 1924, sont accusés de liens avec divers groupes considérés comme “terroristes” par Ankara.

Pour les défenseurs des droits de l’Homme, ce procès traduit le recul des libertés en Turquie depuis la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016, suivie de purges massives qui, au-delà des putschistes présumés, ont frappé les milieux critiques du président Recep Tayyip Erdogan.

Pour M. Gürsel, “le journalisme turc est à l’article de la mort” et dans un état “qui fend le coeur”, en raison de l’érosion de la liberté d’expression et des restrictions imposées par les autorités. Mais il garde espoir.

“A ceux qui disent que le journalisme est mort, je réponds qu’il est dans le coma”, dit-il à l’AFP lors d’un entretien dans sa maison d’Istanbul.

“Par là, je veux dire qu’il pourrait sortir de ce coma”, ajoute-t-il, estimant qu’il revient aux journalistes de provoquer ce réveil.

– Besoin de temps –

Le quotidien est détenu par une fondation composée essentiellement de journalistes, à la différence des grands médias turcs contrôlés par des groupes industriels qui ont des intérêts dans divers secteurs économiques, ce qui les rend plus sensibles aux pressions.

Les partisans de Cumhuriyet estiment que le journal est visé en raison de son refus de se plier à la ligne du gouvernement.

M. Gürsel, qui a également collaboré avec l’AFP entre 1993 et 1997, a rejoint Cumhuriyet en 2016, après avoir quitté le quotidien Milliyet lorsque celui-ci a adopté une ligne éditoriale plus prudente.

Son procès se poursuit, avec une prochaine audience prévue le 31 octobre.

Quatre de ses collègues sont encore en détention: le patron du journal Akin Atalay, son rédacteur en chef Murat Sabuncu, le journaliste d’investigation Ahmet Sik et Yusuf Emre Iper, un comptable du quotidien.

M. Gürsel assure qu’il continuera à écrire pour le quotidien, mais “pour le moment je ne me sens pas prêt. Il me faut un peu plus de temps”.

Le journalisme “est le seul métier que je connaisse”, explique-t-il.

Selon le site P24, spécialisé dans la liberté de la presse, quelque 170 journalistes sont détenus en Turquie. Celle-ci occupe la 155e place sur 180 au classement 2017 de la liberté de la presse établi par RSF.

– “Baiser de la vie” –

Revenant sur son séjour en prison, M. Gürsel affirme avoir réussi à maintenir sa santé physique et mentale.

“Je n’ai jamais compté les jours”, assure le journaliste. “J’ai toujours regardé devant moi et pensé à l’avenir”.

“Je ne voulais pas donner satisfaction à ceux qui nous ont retenus captifs. C’est pourquoi je ne me suis pas plaint”, ajoute-il.

Loin de considérer son séjour en prison comme une année perdue, M. Gürsel estime l’avoir “transformé en opportunité”, en plongeant dans les lectures pour lesquelles il manquait de temps lorsqu’il travaillait.

“Après toutes les épreuves, je peux encore marcher la tête haute. J’en suis fier”.

Un photographe de l’AFP a immortalisé le moment où Kadri Gürsel est sorti le 25 septembre de la prison de Silivri, près d’Istanbul, avec un cliché le montrant embrassant son épouse Nazire.

Cette photographie a été largement partagée sur les réseaux sociaux et dans les médias turcs, saluée comme un rare message d’optimisme en des temps troublés.

“Je dois dire que l’on s’embrassait aussi lors de nos rencontres au parloir. Cela n’a jamais été condamné par les gardiens de prison”, s’amuse-t-il.

Son épouse Nazire a baptisé cette photographie “le baiser de la vie”.

“C’était une image positive venant de Turquie (…) Peut-être qu’avec ce baiser, au lieu de se plaindre, (la société turque) reprendra goût à la vie”, espère-t-elle.

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