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Mal manger à l’hôpital n’est pas une fatalité, malgré la diète budgétaire

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Mal manger à l’hôpital n’est pas une fatalité, malgré la diète budgétaire

Viande nerveuse, purée insipide… c’est bien connu, à l’hôpital, “on n’envoie pas du Bocuse”, encore moins en période de diète budgétaire. “Soin” injustement délaissé par les pouvoirs publics, l’alimentation des patients gagnerait pourtant à être valorisée.

Un barquette divisée en deux. A droite, un bout de paleron gélatineux trempant dans son jus, à gauche, un petit “pavé de polenta”, “dur comme une brique”. La photo prise par Delphine Blanchard, hospitalisée cinq jours dans un établissement rhônalpin, n’ouvre pas vraiment l’appétit.

“Les repas n’étaient pas terribles” confirme à l’AFP cette femme de 40 ans, soignée pour insuffisance rénale, habituée des hôpitaux. “Cela fait un bon régime !”.

Comme Delphine, moins de la moitié des patients sont satisfaits de la nourriture servie en court séjour, selon la dernière enquête de la Haute autorité de santé, un sur quatre (23%) l’estimant même “faible ou mauvaise”.

Des résultats peu surprenants mais inacceptables pour le docteur Eric Fontaine, fondateur du collectif de lutte contre la dénutrition. “Les gens ont tellement appris que c’était dégueulasse à l’hôpital qu’ils considèrent que c’est devenu une norme. Mais ce n’est pas une fatalité”, fait-il valoir.

Alors que la dénutrition, “maladie silencieuse”, touche plus de deux millions de personnes en France, qu’elle augmente la morbidité ou les complications, la bonne alimentation des malades n’est pas une priorité.

Pire, plus l’hospitalisation dure, plus les patients risquent d’en sortir amaigris voire dénutris.

En témoignent les restes laissés dans leurs assiettes, plus gros gaspillages enregistrés dans la restauration collective, selon le Comité national de l’alimentation (CNA), instance indépendante rattachée aux ministères de l?Agriculture, de la Santé et de la Consommation, auteur d’un avis publié en juillet.

Malgré des quantités astronomiques (plus d’un milliard de repas par an en établissements de santé et médico-sociaux), l’alimentation ne représente qu’1 à 2% du budget des hôpitaux, pas de quoi plomber leurs finances.

“On a le choix entre acheter de la viande plus chère, un échographe, ou recruter une infirmière”, se défend pourtant la directrice des achats d’un centre hospitalier du Grand Est.

– 3,73 euros par jour –

Pour réjouir les papilles, les professionnels de la restauration doivent donc jongler avec les coûts en plus d’une myriade de contraintes diététiques et d’hygiène.

“Le repas doit être un moment de plaisir pour le patient”, le reste du temps “agressé par une piqûre, un examen”, estime Anne-Françoise Gicquel, secrétaire de l’association culinaire des établissements hospitaliers de France.

Mais pas facile de faire des merveilles avec, en moyenne, 2,35 euros alloués aux denrées par “demi-journée alimentaire” (petit-déjeuner/déjeuner ou collation/dîner), selon des données de 2013, qui évaluait le prix total d’une journée (frais d’infrastructures ou de personnels compris) à 11,20 euros par patient.

Le Pr Fontaine avance, lui, un coût journalier en denrées et par patient de 3,73 euros et “défie n’importe qui de faire quelque chose de mangeable” à ce prix-là. Mieux vaudrait y ajouter la récente augmentation de deux euros du forfait hospitalier, comme le réclame son collectif dans une pétition, le CNA plaidant lui pour la fixation d’un budget plancher.

Pour rester dans les clous, “il y a des optimisations qui sont normales, comme les groupements d’achats, régionaux ou nationaux”, explique Sylvain Zercher, président de l’Udihr (Union des ingénieurs hospitaliers en restauration). “Mais on peut aussi perdre en qualité, en choisissant par exemple des morceaux de viande un peu plus nerveux, des sous-marques”, explique celui qui ne “propose quasiment plus de veau”.

Autre astuce, jouer sur les grammages… voire les condiments, à en croire Delphine Blanchard, désormais privée de “poivre” dans son centre de dialyse.

Le recours accru, depuis les années 1990, “à la liaison froide” – plats préparés dans une cuisine centrale et servis plusieurs jours plus tard – par opposition à “la liaison chaude” – plats préparés et servis sur place – contribue également à l’altération des saveurs.

Cette technique a l’avantage de limiter le besoin en personnel à cinq jours sur sept. Et de faciliter le respect des normes d’hygiène, si “draconiennes” qu’on en vient à commander “des jaunes et blancs d’oeufs en bidon”, selon l’ancienne directrice des achats d’un centre hospitalier en Rhône-Alpes.

La liaison froide ne favorise pas toutes les recettes – oubliez les frites ! – “mais sur des viandes sautées ou braisées, elle donne d’excellents résultats” assure de son côté Lionel Pailhé, responsable des achats de restauration pour le réseau coopératif d’achat groupé UniHA.

Signe des temps, celui-ci vient de passer de 67 à 120 établissements adhérents avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT).

– lapin chinois –

Malgré les injonctions officielles, la tendance au regroupement et l’ampleur des volumes compliquent le recours au bio, plus onéreux et mieux installé dans le scolaire, comme aux circuits courts et aux producteurs locaux, d’autant que le code des marchés publics interdit les critères de sélection géographiques.

Conséquence, le lapin chinois peu ragoûtant servi dans une maison de retraite s’est un jour avéré être… du chat. Un cas extrême rapporté par “la Direction du Centre Hospitalier” (pseudonyme) sur Twitter et qui “illustre bien le circuit des denrées”, selon cet observateur averti du milieu hospitalier, contacté par l’AFP.

Chez UniHA, on a trouvé la parade pour répondre aux envies de “made in France” en spécifiant que les “animaux doivent être nés, élevés, abattus, transformés dans le même pays” souligne M.Pailhé.

Des efforts sont aussi faits sur “les fruits et légumes”, insiste M. Zercher, ingénieur au centre hospitalier (CH) de la Rochelle, bien placé pour avoir de “la marée” en circuit court.

Outre la qualité des produits, la présentation et le service jouent aussi sur l’attrait des repas.

Le CNA propose ainsi de permettre aux patients de choisir leur menu, de réduire la diversité des régimes, pas toujours justifiés, d’abandonner le service en chambre pour les patients autonomes, ou encore de sensibiliser les personnels à l’alimentation .

Ce que fait Sophie Barre, directrice adjointe du CH psychiatrique de Thuir (près de Perpignan), où l’on “s’emploie à servir des repas, pas des barquettes” aux résidents, en réfléchissant par exemple à “la couleur” des plateaux pour éviter l’association “endives, omelette, coquillette et yaourt nature”.

En 1997, un rapport sur l’alimentation hospitalière avait été remis au ministère de la Santé… Tous ses constats “restent d’actualité”, souligne le CNA, appelant à “un investissement des pouvoirs publics”. Reste à voir si la ministre Agnès Buzyn répondra à son courrier.

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