Mexique: le massacre de Tlatelolco, toujours opaque, cinquante ans après

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Les soubresauts de l’année 1968 ont eu une violente répercussion au Mexique avec la répression sanglante d’une manifestation étudiante à quelques jours des jeux Olympiques de Mexico, qui aurait fait entre 30 et 500 morts, selon les versions.

Cinquante ans après les faits, les Mexicains ne savent toujours pas ce qui s?est réellement passé le 2 octobre dans le quartier de Tlatelolco, dans la capitale mexicaine.

“Ça a été un jour traumatisant pour tous, nous nous sommes sentis profondément trahis par le gouvernement”, raconte à l’AFP Felix Hernandez, leader du mouvement étudiant de l’époque, qui protestait contre le gouvernement autoritaire du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) au pouvoir depuis 1929.

Ce matin-là, lui et d’autres leaders étudiants avaient accepté de suspendre une grande marche prévue le 2 octobre, après une réunion avec les autorités.

Une deuxième rencontre était prévue le lendemain pour discuter de la suspension du mouvement étudiant avant le début des Jeux, en échange notamment de la libération des manifestants emprisonnés lors des précédentes manifestations.

“Nous avons décidé de suspendre la marche mais décidé de tenir une réunion à Tlatelolco et les représentants du gouvernement en ont été informés”, se souvient Felix Hernandez, âgé de 72 ans, désormais consultant en gestion des ressources naturelles.

– Une demi-heure de feu intense –

Quelque 8.000 manifestants, jeunes et moins jeunes, s’étaient rassemblés sur la place des Trois cultures et écoutaient les leaders étudiants leur expliquer la teneur des négociations en cours avec le gouvernement lorsque “la fusillade a commencé”.

Le feu intense a duré une demi-heure faisant “des centaines de morts, des milliers de blessés, des milliers de détenus, des centaines de prisonniers politiques”, relate Felix Hernandez, toujours incrédule.

“Nous ne connaissons pas le nombre exact de morts” admet-il.

Selon Sergio Zermeno, chercheur à l’université UNAM, plusieurs stratégies parallèles ont abouti au drame.

L’armée avait pour objectif d’arrêter les dirigeants du mouvement étudiant, mais des membres d’un bataillon para-militaire en civil – créé par le gouvernement – a ajouté un élément de surprise en tirant notamment sur l’armée pour faire croire que “les étudiants étaient armés” et que l’arrestation de leurs leaders était devenue nécessaire.

“Le gouvernement avait très peur (…) que les étudiants sabotent les jeux Olympiques”, explique la journaliste et écrivaine Elena Poniatowska, Prix Cervantes 2013 et auteur du livre “La noche de Tlatelolco” (La nuit de Tlatelolco).

Des francs-tireurs positionnés sur les toits, non identifiés mais pouvant appartenir au même groupe paramilitaire, ont ajouté au chaos en ouvrant le feu sans discrimination sur les militaires et les manifestants.

Leur objectif, selon le chercheur, était de discréditer une éventuelle candidature militaire à la présidence mexicaine à une époque où de tels régimes se multipliaient dans la région.

– Version officielle –

Le lendemain du drame, les journaux mexicains – sous la pression de la censure – faisaient état de 20 morts, et rejetaient la responsabilité du drame sur les étudiants qualifiés de “terroristes” ou de “francs-tireurs”.

“Quand j’ai demandé à voir mes photos, on m’a dit que des agents du gouvernement étaient venus et avaient tout pris. Cinq rouleaux!” témoigne à l’AFP, Jesus Fonseca, photographe au quotidien national El Universal, un des principaux journaux mexicains.

La presse internationale avançait de son côté le chiffre de 300 à 500 morts.

Le lendemain du drame, la journaliste Nidia Marin du quotidien Grafico a pu accompagner des familles dans une morgue improvisée.

“Il y avait une femme enceinte avec son bébé au dehors”, se souvient-elle, la voix brisée.

En 50 ans, les autorités n’ont jamais expliqué ce qui s’était passé à Tlatelolco, s’en tenant à la version officielle. Et la vague d’arrestations qui s’en est suivie a découragé les plaintes.

De nombreux témoignages de la tragédie sont apparus des décennies plus tard. “C’était très difficile à l’époque de parler”, explique Nidia Marin.

Encore aujourd’hui, certains ont peur de parler, souligne Jesus Fonseca, qui demande au gouvernement de déclassifier les documents sur le drame.

Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Luis Echeverria – qui accédera par la suite à la présidence du Mexique – a été condamné en 2005 à de la prison à domicile pour son rôle dans cette tragédie.

Avant finalement d’être blanchi en 2009, faute de preuves.