Home Pure Info “Mézières-Charleville”, QG allemand dans les Ardennes occupées en 14-18

“Mézières-Charleville”, QG allemand dans les Ardennes occupées en 14-18

0
“Mézières-Charleville”, QG allemand dans les Ardennes occupées en 14-18

Kaiser, Kommandantur et gratin berlinois… Placée sous le “joug allemand” pendant toute la Grande Guerre, Charleville-Mézières, où se déroule mercredi le Conseil des ministres, était il y a un siècle le siège des plus hautes instances allemandes, raconte à l’AFP Carole Marquet-Morelle, historienne et directrice du Musée de l’Ardenne.

QUESTION: Comment s’est déroulée l’occupation allemande de la ville ?

REPONSE: Les Ardennes ont été le seul département français entièrement occupé durant le conflit, du 29 août 1914 au 11 novembre 1918, soit cinquante-deux mois. L’installation de Guillaume II date du 26 septembre. À l’époque, Charleville et Mézières sont deux villes séparées: elles sont pour la première fois réunies sous l’appellation “Mézières-Charleville”. L’hypothèse la plus plausible de ce choix réside dans la position de ces villes au centre de la ligne de front, qui va de l’Alsace jusqu’à la mer du Nord, et par la présence d’un bon réseau ferroviaire, facilitant les déplacements. L’empereur arrive avec sa cour, l’état-major militaire, les diplomates. C’est vraiment une transposition des administrations berlinoises. On dénombre environ 350 officiers ainsi que 1.300 sous-officiers et soldats. Le Grand Quartier général s’installe à la préfecture de Mézières. C’est là où on décide des opérations militaires, où on pense l’offensive de Verdun, où on réfléchit à la contre-offensive du Chemin des Dames.

Q.: Pourquoi cette mainmise sur le chef-lieu des Ardennes ?

R.: L’occupation était là pour préparer l’extension du territoire de l’Allemagne, l’annexion de cette nouvelle région. On distingue trois phases dans ce mécanisme: germanisation politique où l’occupant s’immisce dans la vie des conseils municipaux, germanisation culturelle, germanisation économique, faite de réquisitions et de lourds impôts à payer. C’est une mainmise complète sur la monnaie et l’outil de production. D’ailleurs, plus aucun journal ne paraît, sauf “La Gazette des Ardennes”, journal de propagande imprimé à Charleville pour informer toute la partie occupée du pays. La charnière, c’est 1916, après Verdun: les choses basculent et les Allemands commencent à confisquer les biens. Ils reculent en pratiquant la politique de la terre brûlée à mesure des avancées de l’armée française: Mézières est bombardée, mais Charleville est épargnée.

Q. : Comment la population a-t-elle traversé cette période, méconnue ?

R. : Dès le départ, l’occupation est très dure. Les denrées manquent. Les civils sont privés de liberté de mouvement, il faut un laissez-passer pour circuler, sous peine d’amende. De 1914 à août 1918, 20.726 habitants ont été réquisitionnés, parmi lesquels 11.312 hommes, 8.533 femmes et 881 enfants, pour aller travailler dans toutes les Ardennes, notamment pour des travaux agricoles. Il y a eu des déportations, surtout vers les pays baltes, ce fut le cas d’un conseiller municipal de Mézières… La population était sous le joug allemand. Mais il y avait déjà un traumatisme de la guerre et les habitants de la France non-occupée étaient suspicieux de ces gens qui avaient vécu quatre ans avec l’Allemand. On ne s’imaginait pas ce que ça pouvait être… Et les historiens ne s’en sont pas emparés tout de suite car l’historiographie de la Grande Guerre a d’abord été celle des batailles. Donc, c’est une mémoire qui a été enfouie: elle s’est transmise localement mais n’a jamais été un sujet national.