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Micro en main, Erdogan se fait crooner pour charmer les électeurs

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Micro en main, Erdogan se fait crooner pour charmer les électeurs

Formules assassines, poèmes nationalistes, anecdotes éloquentes : depuis son arrivée au pouvoir, en 2003, le président turc Recep Tayyip Erdogan s’appuie sur de redoutables qualités oratoires que lui envient ses plus farouches opposants.

Alors que la campagne pour des élections locales le 31 mars bat son plein, il a ajouté une nouvelle corde à son arc, vocale cette fois-ci. Surtout connu en Occident pour ses virulentes diatribes, M. Erdogan commence en effet depuis quelques semaines ses meetings en fredonnant une chanson pour électriser ses partisans.

La musique est depuis toujours un instrument exploité par les hommes politiques de tous bords en Turquie. Mais pour le parti du président Erdogan, l’AKP, elle est devenue une arme incontournable.

Alors que la Turquie traverse une période économique difficile — le pays est en récession pour la première fois depuis 10 ans –, l’AKP monte le volume dans l’espoir de séduire malgré tout les électeurs frappés au porte-monnaie.

“J’ai des frissons quand j’écoute ces chansons”, reconnaît Ilknur Can, rencontrée par l’AFP lors d’un meeting à Istanbul au début duquel M. Erdogan a encore chanté. “A travers ces chansons, je comprends vraiment ce que le patriotisme veut dire”.

Dans un pays mélomane comme la Turquie, la musique est partout : dans les cafés, les boutiques, les restaurants. C’est donc tout naturellement que lors des rassemblements politiques, des sonos crachent des chansons à en crever les tympans.

Le dirigeant turc âgé de 65 ans utilise depuis plusieurs années le pouvoir de la musique. Mais c’est la première fois qu’il fait campagne en chantant quasi systématiquement au début de ses meetings quotidiens.

– L’actualité en musique –

Le morceau à la mode, qui s’intitule “Nereden nereye (d’où à où)”, brosse le tableau d’une Turquie qui s’est considérablement développée sous la houlette de M. Erdogan.

“D’où à où, d’où à où, d’où à où est parvenue la Turquie”, fredonne le président turc.

Dans cette chanson, pas un mot sur l’évolution de la situation des droits humains qui s’est nettement dégradée en Turquie ces dernières années.

Les textes misent plutôt sur l’image du président fort dont la Turquie aurait besoin qui trouve un écho favorable auprès de la base nationaliste et pieuse de l’AKP.

Pour parvenir à leurs fins, les compositeurs missionnés par l’AKP n’hésitent pas à mettre en musique l’actualité.

C’est sans surprise que la tentative de coup d’Etat contre M. Erdogan dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016 a été mise en chanson. Le morceau est même devenu un tube qui est régulièrement diffusé lors des meetings de l’AKP.

“Aujourd’hui, quand j’écoute +D’où à où+, je suis transcendée”, sourit Ayse Duru, une partisane du président.

L’auteur de ce nouveau succès est Altan Cetin, un compositeur turc qui collabore d’habitude avec des chanteurs de pop.

“Croyez-moi, c’est parfois bien plus difficile d’écrire des chansons pop”, dit-il à l’AFP qu’il reçoit dans son studio à Istanbul.

Ce projet, qu’il a réalisé à la demande d’un ami producteur, lui a demandé un mois de travail.

– “Rapprocher les gens” –

La musique, explique M. Cetin, “est comme une colle”, dans le sens où “elle rapproche les gens”. “Elle insuffle de la sincérité, une unité et un pouvoir chez tous ceux qui arrivent à la sentir”, ajoute-t-il.

Le pouvoir de la chanson en politique réside dans le fait qu’elle est la façon la plus directe d’atteindre le public, explique Dogan Gürpinar, enseignant à l’Université technique d’Istanbul.

“La Turquie est un pays où l’on recherche davantage les instruments permettant d’atteindre les masses, comparé aux autres pays du monde occidental”, explique-t-il.

M. Gürpinar relève que le principal parti d’opposition à M. Erdogan, le CHP (social-démocrate), a plus de mal que l’AKP à établir un lien avec les électeurs avec son répertoire vieillissant de chansons de gauche, souvent tirées de l’univers des manifestations.

Visiblement conscient de cette situation, le CHP mise pour la campagne des élections locales sur des chansons plus contemporaines, y compris un morceau de rap, dans l’espoir d’atteindre les jeunes.