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Mourir en témoignant du combat des Noirs américains

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Mourir en témoignant du combat des Noirs américains

Le 30 septembre 1962, des émeutes éclatent à l’université du Mississippi: les manifestants s’opposent à l’admission de James Meredith, premier étudiant noir de l’établissement. Il y a 55 ans, Paul Guihard couvre l’événement pour l’AFP. Il est retrouvé abattu d’une balle dans le dos.

L’ancien correspondant de l’Agence France-Presse, âgé alors de 30 ans, est le seul journaliste qui a été tué durant les violences qui ont émaillé le mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis, comme le rappelle Kathleen Wickham dans son ouvrage “We Believed We Were Immortal” (“Nous pensions être immortels”), qui sort samedi et lui consacre un chapitre.

“J’ai été personnellement offensée qu’un reporter soit tué et que rien n’ait été écrit” dessus, déplore l’auteure auprès de l’AFP, expliquant avoir voulu “rendre hommage et mettre un nom” sur cette histoire “oubliée”.

La professeure de journalisme à l’université du Mississippi souligne aussi avoir conçu son ouvrage sur douze reporters ayant couvert ces émeutes comme “une enquête”, en particulier pour Paul Guihard, “car quelqu’un sait ce qui s’est passé” ce soir-là.

Le chapitre émet plusieurs hypothèses, “mais le meurtre de Paul reste un mystère”. Une seule certitude: le jeune journaliste franco-britannique a été abattu à bout portant (à 30cm selon l’autopsie) d’une balle qui lui a transpercé le coeur. Et “le tir était délibéré”.

– Changement d’atmosphère –

Le livre, qui raconte aussi les histoires de deux journalistes Afro-Américains, dont le premier reporter noir du Washington Post, retrace surtout la dernière journée de Paul Guihard, qui avait servi quelques années auparavant dans l’armée britannique à Chypre.

Le matin du 30 septembre, alors que le delta du Mississippi et le Sud ségrégationniste des Etats-Unis bouillonnaient et couvaient une nouvelle poussée de fièvre raciste, il embarque sur un vol New York-Jackson, à bord duquel une hôtesse pleine d’aplomb lui demande s’il va couvrir “le truc nègre”.

A l’arrivée, le journaliste accompagné du photographe Sammy Schulman loue une Chevrolet blanche et roule jusqu’à la demeure du gouverneur, où 3.000 personnes sont massées à l’appel du White Citizens Council, sorte de Ku Klux Klan de la haute société. Son message est simple: prenez les armes pour défendre le statu quo d’une Amérique blanche contre le péril porté par la décision de l’université.

En milieu d’après-midi, le journaliste et le photographe décident de se diriger vers la ville d’Oxford, à quatre heures de route, où se situe l’université.

Mais entre le moment où ils écoutent le président John F. Kennedy prononcer son discours ferme contre les ségrégationnistes sur l’autoradio et leur arrivée, l’atmosphère a déjà considérablement changé sur place. Des affrontements ont éclaté et la fumée du gaz lacrymogène baigne déjà le campus.

– ‘Ne t’inquiète pas’ –

Quelques minutes avant d’atteindre celui-ci, vers 20H40, une patrouille arrête la voiture et prévient: “Je ne peux pas garantir votre vie ou vos biens si vous passez”.

Sur place, les deux collègues sont pris dans le mouvement de foule et les émeutes. Des assaillants brisent les appareils des photographes et les deux hommes décident de se séparer, pour se retrouver une heure plus tard devant la voiture.

Paul Guihard s’engouffre dans la fumée et, dix minutes plus tard, est abattu. Son corps sera retrouvé par des étudiants dans un coin sombre, près du dortoir pour femmes.

Le meurtre a “peu attiré l’attention”, regrette Kathleen Wickham, qui a ressenti le besoin de raconter cette histoire “car notre société se débat encore avec les mêmes problèmes” de racisme et de leur couverture médiatique. “On pourra nous accuser de faire du +fake news+”, explique l’ancienne journaliste dans une référence aux attaques de Donald Trump contre la presse, “mais nous continuerons de faire notre travail quoi qu’il en coûte”.

Dans son livre, elle cite le photographe Flip Schulke, le dernier à avoir parlé à Paul Guihard. “Je lui ai crié baisse toi! Et son accent français m’est revenu, me disant +ne t’inquiète pas, j’ai fait Chypre+”.

“J’ai toujours gardé ça en tête”, raconte-t-il. “Parce que je ne connaissais pas grand chose à Chypre, mais l’université du Mississippi c’était dangereux.”

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