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Paul Robeson, première star noire de l’industrie culturelle américaine

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Paul Robeson, première star noire de l’industrie culturelle américaine

Le musée du quai Branly consacre une exposition à l’Américain Paul Robeson, activiste socialiste et premier acteur noir du cinéma hollywoodien de l’entre-deux-guerres. Son nom a longtemps été ostracisé aux États-Unis.

Doté d’un physique de colosse, agile au football américain, Paul Robeson aurait pu être une star du ballon ovale. Diplômé en droit de l’université de Columbia, à New York, maniant la langue avec conviction, il aurait pu être un ténor du barreau américain. Fils de pasteur, lui-même réchappé de l’esclavage, il aurait pu être un Martin Luther King, ravivant la foi en Dieu et en l’humanité. Mais Paul Robeson a percé dans le cinéma naissant des années 1920, début d’un parcours que retrace, jusqu’au 13 octobre, une exposition au musée du quai Branly, à Paris.

Paradoxalement, c’est dans un film muet, “Body and Soul”, que cette voix de basse se fait remarquer en 1925, dans le rôle d’un faux révérend qui truande sa paroisse. Il a alors 27 ans.

Crevant l’écran, Paul Robeson se fait un nom pour incarner des rôles noirs auparavant dévolus à des acteurs blancs grimés en “blackface”. Au fil de ses contrats au cinéma, son nom prend davantage de place sur les affiches, jusqu’à faire de sa présence un argument commercial, comme dans “Emperor Jones”, en 1933, où il joue un réchappé de bagne qui s’autoproclame empereur sur une île des Caraïbes.

Doté d’une belle gueule, mais aussi pourvu d’une voix profonde de baryton-basse, Paul Robeson entonne dans le film “Showboat” (1936) une de ces “work-songs” appelées à devenir un hymne à l’émancipation des Noirs américains : “Ol’ Man River”.

Paul Robeson a dû traverser l’Atlantique pour monter sur les planches. Il endosse le costume d’Othello, le mythique Maure de la pièce de Shakespeare, sur la scène du théâtre Savoy à Londres. Il n’était pas le premier à effectuer le voyage : un acteur afro-américain, Ira Aldridge, célébré pour son incarnation d’Othello sur les scènes londoniennes, avait déjà tracé la voie en 1825. L’Othello de Paul Robeson est politique : il s’agit d’une “tragédie du conflit racial, une tragédie de l’honneur plutôt que de la jalousie”, dit-il dans un entretien au journal The Observer en 1930.

Paul Robeson dans les habits d’Othello, en septembre 1943 au théâtre S. Shubert, New York. © Archives du Daily Worker

En Europe, Paul Robeson peut assumer son activisme socialiste : il rejoint la troupe Unity Theatre, engagée dans la lutte ouvrière, et se rend en Espagne pour soutenir la gauche républicaine. Il est même reçu avec faste à Moscou, où il enregistre l’hymne soviétique. Partout, il entonne “Ol’ Man River”, transformant les paroles pour en gommer la résignation et clamer son espoir en un monde meilleur.

C’est en Othello qu’il retourne à New York et triomphe à Broadway. Lorsque la presse américaine lui demande s’il a renoncé à ses idées politiques, il répond “non” avec aplomb : “Je joue et je parle pour les Noirs comme seul Shakespeare était capable de le faire. Cette pièce aborde le problème des minorités. C’est l’histoire d’un Maure au teint noir (‘blackamoor’) qui recherche l’égalité parmi les blancs”, affirme-t-il en septembre 1943. Le FBI suit de près ses activités et lui retire son passeport en 1950.

Rassemblement de soutien à Paul Robeson devant le Radio City Hall de New York, organisé par le Harlem Trade Union Council en mars 1950. © Archives du Daily Worker

Sa carrière peut repartir lorsqu’en 1958, son passeport lui est rendu et qu’il peut à nouveau voyager en Europe. Aux États-Unis aussi, les portes se rouvent : en mai de cette année, le haut lieu de la musique classique à New York, le Carnegie Hall, l’accueille pour un récital.

La réhabilitation de Paul Robeson, les invitations à ce qu’il rejoigne la première ligne du mouvement des droits civiques dans les années 1960, arrivent trop tard. Le chanteur est affaibli par des soucis de santé – son fils soupçonnera plus tard les services secrets américains de l’avoir empoisonné. Il meurt en 1976 à New York, dans le quartier d’Harlem.

Les pages des livres d’histoire ont longtemps occulté l’existence de Paul Robeson. Sans doute était-il ostracisé pour sa proximité avec le régime soviétique, réduit à être le chantre de la propagande communiste et le renégat du camp américain en pleine Guerre froide.

En 1949, Paul Robeson est invité à Moscou pour le 150e anniversaire d’Alexandre Pouchkine, devant un parterre de haut-placés soviétiques, il entonne le chant des partisans du ghetto de Varsovie, “Zog Nit Keynmol”. Le comédien et chanteur avait appris des rudiments de yiddish en fréquentant des comédiens ashkénazes à Londres.

Lors de cette soirée moscovite, le baryton-basse rend ainsi hommage à deux amis rencontrés au sein du Comité antifasciste juif d’Union soviétique, et récemment la cible des purges antisémites : Solomon Mikhoels, metteur en scène et directeur de théâtre assassiné un an plus tôt, et Itzik Feffer, alors emprisonné. Paul Robeson défie ouvertement, ce jour-là, le pouvoir soviétique. Seuls ceux qui y avaient assisté pouvaient le savoir, l’enregistrement ayant été enfoui dans les méandres de la censure stalinienne.

Première publication : 19/09/2018

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