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Sainte-Hélène, l’île au temps suspendu

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Sainte-Hélène, l’île au temps suspendu

Passer un coup de téléphone dans une cabine qui fonctionne encore avec des pièces, vivre dans une capitale sans distributeur automatique de billets, faire ses courses dans un supermarché au parquet massif: sur l’île britannique de Sainte-Hélène, confetti au milieu de l’Atlantique sud, le temps semble suspendu.

“Je ne pense pas que je pourrais m’adapter au monde extérieur”, confie Ivy Robinson, propriétaire de la pension Wellington House, une maison du XVIIe siècle à la façade bleu azur.

Cette quinquagénaire n’a toujours pas de site internet pour son Bed & Breakfast du coeur de Jamestown, capitale de la taille d’un village. Les autres établissements hôteliers de l’île non plus, à l’exception d’un seul.

Mme Robinson ne possède pas non plus de téléphone portable, simplement un téléphone fixe. Le réseau mobile a débarqué il y a seulement deux ans sur cette île de 4.500 habitants, perdue entre l’Angola et le Brésil. Mais les convertis restent rares.

“A Sainte-Hélène, pendant que le reste du monde est accroché à son I-Pad, on regarde passer les bateaux à l’horizon”, résume avec poésie Jeremy Harris, directeur de l’ONG National Trust.

Les rares bateaux qui jettent encore l’ancre au large rythment la vie de l’île. Ils lui fournissent presque tout ce dont les Héléniens ont besoin: carburant, nourriture, meubles, médicaments, vêtements et véhicules.

“Quand la sirène du RMS St Helena (le bateau qui assure la liaison avec Le Cap, en Afrique du Sud, environ une fois par mois) retentit, vous pensez: +Oh mon Dieu, je suis au milieu de l’océan Atlantique à des milliers de kilomètres de tout+”, résume la gouverneure Lisa Phillips.

Un sentiment d’isolement encore accentué par le manque d’informations sur l’île, où les élus n’ont pas le droit de communiquer sur les débats du gouvernement local.

Mais les temps changent. La gouverneure a décidé en août d’assouplir quelque peu cette mesure, et surtout, l’aéroport a enfin ouvert après d’interminables travaux. Depuis octobre, un avion assure une liaison hebdomadaire avec l’Afrique du Sud.

– Pénurie de farine –

Grâce à ce vol de six heures, Teddy Fowler, 69 ans, a pu rentrer à temps du Royaume-Uni pour l’enterrement de sa mère à Sainte-Hélène. Mais ses enfants, émigrés en Angleterre, n’ont pas fait le déplacement. Trop cher. “Même avec l’avion, ce sera toujours la même chose pour nous les îliens, on sera isolés”, prédit-il fataliste.

L’aéroport change pourtant radicalement la donne pour les évacuations médicales. Fini, espère-t-on, les histoires tragiques de malades décédés sur le bateau en route pour le Cap. Déjà un nouveau-né a pu être sauvé, se réjouit la gouverneure.

Mais l’approvisionnement de l’île dépendra encore des bateaux. Patience, débrouillardise et anticipation seront toujours requises.

Pour son mariage, une jeune “Sainte” – nom donné aux habitants de l’île – a récemment dû emprunter une robe de cérémonie. La sienne n’était pas arrivée à temps à cause d’une panne du RMS St Helena.

Craig Yon, instructeur de plongée, a attendu deux mois et demi une pièce de rechange pour son bateau.

La production agricole de l’île, où plateaux de lave nus alternent avec prairies et forêts luxuriantes, se limite aux salades, tomates, concombres, porc et thon. Le lait est importé, les supermarchés – ou plutôt supérettes – sont le royaume de la conserve.

En octobre, Sainte-Hélène a subi une pénurie de farine. “Quand on ne trouve pas tous les ingrédients, on doit changer de menu”, explique Lisa Phillips.

Dans ces conditions, pas question d’aller sur un coup de tête au restaurant. Il est indispensable de réserver le matin pour le soir.

“Ici, on apprivoise la lenteur, c’est la clé de la vie à Sainte-Hélène”, résume Michel Dancoisne-Martineau, le conservateur des domaines français de Sainte-Hélène, où Napoléon a vécu en exil de 1815 à sa mort en 1821.

– Rue Napoléon –

Deux siècles plus tard, l’empereur déchu tient sa revanche: l’ennemi des Anglais est devenu leur principal atout touristique.

“Que ça nous plaise ou non, Napoléon est venu ici, il fait partie de notre histoire, c’est une attraction touristique”, résume Lawson Henry, élu de Sainte-Hélène.

Napoléon a sa rue à Jamestown, à quelques mètres seulement de la pension Wellington, du nom du duc anglais qui a scellé son sort à la bataille de Waterloo en 1815.

Sa maison de Longwood, où il vivait les volets clos pour empoisonner la vie des soldats chargés de le surveiller, est ouverte. Un de ses lustres trône dans la salle à manger de la gouverneure. Un canapé et un seau à champagne lui ayant appartenu accueillent les hôtes de l’entrepreneur Steven Biggs.

– Pauvreté et exil –

Au XXIe siècle, Sainte-Hélène rime toujours avec exil… mais pour les îliens ordinaires cette fois-ci.

Sans industrie, sans agriculture suffisamment développée, Sainte-Hélène vivote: le salaire annuel moyen n’y dépasse pas 7.280 livres (8.080 euros).

Dans ces conditions, plus de la moitié de la population (51%) part, à un moment donné, travailler à l’étranger – souvent dans l’armée, aux îles Malouines ou sur l’île de l’Ascension.

L’hémorragie des cerveaux se ressent jusque dans le système judiciaire. Il repose sur des non-professionnels pour toutes les affaires passibles d’une peine maximale de 18 mois de prison.

Entre deux audiences, “juges” et “avocats” travaillent comme responsable des ressources humaines ou d’associations. Eric Benjamin a ainsi appris sur le tas à défendre ses concitoyens… et en regardant la vieille série policière américaine “Perry Mason”, lance l’octogénaire en riant.

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