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Scandale sexuel : avant l’affaire Kavanaugh aux États-Unis, le précédent Anita Hill

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Scandale sexuel : avant l’affaire Kavanaugh aux États-Unis, le précédent Anita Hill

Vingt-sept ans avant l’accusation d’agression sexuelle contre Brett Kavanaugh, un autre candidat à la Cour suprême fut accusé de harcèlement sexuel. Le souvenir de l’affaire Anita Hill explique la fébrilité des forces en présence aujourd’hui.

Sexe, vérité et politique, 27 ans plus tard. L’accusation d’agression sexuelle à l’encontre de Brett Kavanaugh, le candidat de Donald Trump à la Cour suprême des États-Unis, a des airs de déjà vu dans la capitale américaine. Médias et commentateurs se souviennent d’un cas similaire qui avait polarisé Washington en septembre 1991 : l’affaire Anita Hill.

Comme Christine Blasey Ford aujourd’hui, Anita Hill a accusé le juge Clarence Thomas publiquement, avec un passage au détecteur de mensonges pour prouver sa crédibilité, quelques jours avant qu’il ne soit confirmé à la plus haute institution du pays. Comme Brett Kavanaugh aujourd’hui, Clarence Thomas a catégoriquement nié les faits. Et, comme aujourd’hui, une bataille féroce entre les deux camps, à la fois médiatique et procédurale, s’est engagée. “C’est parti. Anita Hill le retour”, a tweeté le commentateur conservateur Britt Hume après la publication du témoignage de la professeure californienne.

Certes, les deux cas diffèrent sur certains points. Anita Hill accusait Clarence Thomas de harcèlement sexuel au travail dix ans auparavant, tandis que Christine Blasey Ford affirme que Brett Kavanaugh l’a agressée sexuellement alors qu’ils étaient au lycée. Le contexte, également, a changé. À l’époque, c’est Clarence Thomas qui a remporté le duel après une procédure vivement critiquée : il siège toujours aujourd’hui à la Cour suprême. Mais la bataille qui s’annonce en cette fin septembre 2018 prend place alors que le mouvement #MeToo a redonné du poids à la parole des victimes présumées. L’issue pourrait-elle être différente cette fois ?

Une audition précipitée, un traitement “odieux”

Les élus démocrates ont déjà prévenu la commission judiciaire du Sénat, qui auditionne le juge Kavanaugh et qui souhaite entendre Christine Blasey Ford, de ne pas répéter les erreurs du passé. Ils estiment que l’audition d’Anita Hill avait été précipitée et que la manière dont elle avait été traitée était “odieuse”.

11 octobre 1991. Après une enquête expresse du FBI, Anita Hill, alors 35 ans, est entendue trois jours durant par les membres de la commission présidée par le démocrate et futur vice-président Joe Biden. Cette universitaire raconte comment, alors qu’elle travaillait sous ses ordres à la Commission pour l’égalité des chances au travail, Thomas Clarence lui a demandé plusieurs fois de sortir avec elle avant de la harceler sexuellement. Elle assure qu’il lui décrivait crûment des scènes pornographiques ou qu’il évoquait ses propres “prouesses sexuelles” et la taille de son pénis.

L’histoire se souviendra de la manière peu délicate dont elle fut questionnée par un comité exclusivement masculin et dont certains membres exercent encore aujourd’hui. Joe Biden lui fait ainsi répéter un épisode particulièrement vulgaire, alors qu’elle vient d’en faire part une demi-heure plus tôt : “l’incident de la canette de Coca”. Après un soupire, la jeune femme doit alors décrire, une nouvelle fois, comment le juge Clarence Thomas lui a demandé qui avait mis un poil pubien dans sa canette de soda. Le sénateur républicain Orrin Hatch saisit cet épisode pour accuser la jeune femme d’avoir volé la citation dans le roman “L’Exorciste”. S’adressant à Clarence Thomas, il lance, de manière incrédule : “Elle voudrait nous faire croire que vous disiez ces choses parce que vous vouliez sortir avec elle ?”

Alors que d’autres femmes devaient témoigner pour appuyer les accusations d’Anita Hill, elles n’ont jamais été appelées devant le comité. Certains sénateurs ont accusé l’universitaire d’avoir tout inventé pour salir Clarence Thomas, ou parce que ce dernier ne s’intéressait pas à elle sexuellement. D’autres ont tenté de la faire passer pour une personnalité délirante. On lui a également reproché, au vu de la date des faits présumés, de ne pas s’être manifestée plus tôt. Christine Blasey Ford a droit aux mêmes récriminations. Le sénateur Hatch, qui siège toujours à la commission judiciaire, considère le témoignage de cette dernière comme “trop artificiel, trop rusé”. Il a également affirmé que la professeure devait confondre le juge Kavanaugh avec un autre.

Ne pas répéter les mêmes erreurs

Après une audition éprouvante, le juge Clarence Thomas a affirmé que les accusations à son encontre étaient nourries de stéréotypes racistes – il est le deuxième juge afro-américain à siéger à la Cour suprême. Il fut confirmé par le Sénat par 52 voix contre 48. Mais une génération plus tard, chaque partie est toujours meurtrie. L’ex-vice-président Biden, qui pourrait être candidat contre Donald Trump en 2020, a présenté ses excuses, vendredi 21 septembre, affirmant qu’il regrettait les questions de ses collègues et la manière dont il a dirigé l’audition. Selon lui, Christine Blasey Ford mérite un meilleur traitement. “L’intégrité de la Cour, l’engagement du pays à traiter les violences sexuelles comme une question d’intérêt général, et les vies des deux principaux témoins seront en jeu”, écrit Anita Hill dans une tribune publiée dans le New York Times.

Ron Klain, un juriste qui travaillait pour les démocrates à la commission judiciaire du Sénat pendant l’affaire Anita Hill, estime que pour éviter de répéter les mêmes erreurs, il faut engager un avocat extérieur pour poser les questions aux deux parties, plutôt que de laisser les sénateurs les passer au gril.

Le souvenir de 1991 explique la frilosité de Christine Blasey Ford, qui a demandé une enquête préalable du FBI, ainsi qu’un report de l’audition que les sénateurs ont fixée au 24 septembre. Elle s’est dite prête à témoigner dans des conditions “justes et qui assurent sa sécurité”. Elle prépare son intervention avec Ricki Seidman, une démocrate qui a aidé Anita Hill à témoigner à l’époque. Du côté de la défense de Kavanaugh, on reste prudents. Le camp républicain se contente de critiquer des accusations de dernière minute, concernant une époque très lointaine. Le président Trump a notamment tweeté qu’il ne comprenait pas pourquoi les parents de Christine Blasey Ford n’avaient pas contacté les autorités au moment des faits.

#MeToo est passé par là

Difficile, pour l’instant en tout cas, d’aller plus loin. Attaquer la crédibilité d’une victime d’agression sexuelle potentielle serait mal vu aujourd’hui, surtout avec l’écho des réseaux sociaux. Les républicains gardent en tête les élections de 1992, “l’année des femmes”, où un nombre record d’entre elles ont été élues au Congrès à la suite du fiasco de l’affaire Anita Hill. Certains affirment qu’à cause du mouvement #MeToo, le juge Kavanaugh part perdant. L’un des plus fervents défenseurs du juge Thomas à l’époque, le républicain John C. Danforth, a ainsi affirmé que la présomption de culpabilité est plus grande aujourd’hui : “Avec le mouvement #MeToo, cela rend les choses encore plus dures pour lui. C’était déjà compliqué pour Clarence, mais là, ce sera vraiment difficile.”

Le juge Kavanaugh pourrait-il perdre la partie, contrairement à Clarence Thomas en 1991 ? Si l’audition a bien lieu, Christine Blasey Ford ne sera pas, contrairement à Anita Hill, interrogée par un panel exclusivement masculin. Quatre sénatrices démocrates, dont Kamala Harris qui s’est fait remarquer pour ses questions incisives envers Kavanaugh, siègent à la commission judiciaire. Et 23 femmes siègent au Sénat – qui devra voter in fine la confirmation de la nomination du juge – contre deux en 1991. “En 1991, la phrase ‘ils ne comprennent pas’ était devenue populaire pour décrire la réaction des sénateurs aux violences sexuelles, écrit Anita Hill. Après des années de recul, des montagnes de preuves du mal que les violences sexuelles causent aux individus et à nos institutions, ainsi qu’un Sénat plus féminin que jamais, ‘ne pas comprendre’ n’est pas une option pour nos élus.”

Ces derniers n’oublient pas que les élections de mi-mandat auront lieu dans quelques semaines. Or l’opinion semble de moins en moins soutenir le juge Kavanaugh : 40 % des Américains sont opposés à sa confirmation, tandis que 31 % sont pour, selon un sondage Ipsos publié le 21 septembre.

Première publication : 21/09/2018

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