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Venezuela: entre rats et cafards, “mourir lentement” dans le sous-sol d’un ministère

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Venezuela: entre rats et cafards, “mourir lentement” dans le sous-sol d’un ministère

La lumière du jour ne pénètre jamais, l’air est fétide et les rats font partie des colocataires. Quatorze familles “meurent lentement” dans les entrailles d’un ministère à Caracas, en attendant d’être relogées par le gouvernement vénézuélien.

“Ici, nous mourons lentement”: à l’instar de Johan Medina, 31 ans, ceux qui sont entrés ici ont presque abandonné tout espoir. “C’est indigne de la condition humaine”, souffle le jeune homme en agrippant les roues du fauteuil roulant dans lequel il est cloué depuis un accident il y a un peu plus de sept ans.

Dans le sous-sol et au rez-de-chaussée de ce bâtiment qui abrite le ministère de la Femme et d’autres organismes publics, il n’y a ni eau courante, ni ventilation. Pour éviter que les rats ne s’invitent, les habitants bouchent les trous dans la tuyauterie avec des bouteilles en plastique.

“Ma fille a perdu l’odorat il y a environ un an”, explique Carla, qui demande à ce que son prénom soit modifié pour ne pas être identifiée.

“Notre chambre était destinée à être une salle de bain. Imaginez un peu l’odeur quand la canalisation est en dérangement”, poursuit Carla qui vit ici depuis quatre ans. Elle a installé des rideaux et une moustiquaire pour empêcher les “cafards volants” de l’importuner.

Les 24 “réfugiés” du ministère sont arrivés ici après un drame dans leur vie personnelle ou parce qu’ils n’avaient plus d’autre endroit où aller. Leur installation s’est faite par l’intermédiaire d’Anticorrupción Interpelación Popular Organizada (AIPO), une association issue de la société civile proche du pouvoir chaviste.

Bénéficiant d’un accord pour utiliser gratuitement les locaux du ministère, l’AIPO y organisait des réunions et ses membres venant de province y restaient parfois dormir.

Le temps passant, certaines personnes sans point de chute “ont commencé à vivre ici” à partir de 2010, avec la promesse des autorités d’être relogées, raconte Norelis, une institutrice de 40 ans qui vit là avec sa fille unique. Mais les conditions ont commencé à se détériorer et “maintenant on se croirait dans un cloaque”, confie-t-elle, tout en disant attendre d’être relogée dans un “endroit digne”.

– “Régime de semi-liberté” –

Des centaines de Vénézuéliens sont relogés temporairement chaque année par le gouvernement, qui dans un logement vacant, qui dans un gymnase, après une catastrophe naturelle ou un drame personnel.

Ils sont ensuite inscrits sur la liste d’attente de la “Mision vivienda” (Mission logement), un programme social du gouvernement du président socialiste Nicolas Maduro. Selon le pouvoir chaviste, ce projet a permis de fournir plus de trois millions de maisons et d’appartements neufs à des prix très bas aux plus nécessiteux. Un chiffre que l’opposition met en doute.

Les locataires du ministère de la Femme n’en ont pas encore bénéficié, bien qu’ils soient inscrits sur la liste.

A l’entrée du bâtiment, des affiches du défunt président Hugo Chavez (1999-2013) font face à des portraits de son successeur Nicolas Maduro. D’autres posters appellent à “Voter Chavez!” ou à “en finir!” avec Donald Trump.

Les habitants du ministère sont particulièrement vulnérables aux risques d’infection au Covid-19, dont quelque 88.000 cas ont été officiellement recensés au Venezuela, pays de 30 millions d’habitants, pour plus de 750 décès liés à la maladie. Des chiffres délibérément sous-estimés, selon l’opposition.

Mais Johan admet que le virus est le cadet de ces soucis. “Pourquoi est-ce que je porterais un masque ?”, lance-t-il.

Malgré les conditions éprouvantes, les naufragés du ministère disent tous craindre une prochaine éviction, car l’accord — un commodat — qui liait l’association AIPO au pouvoir chaviste a expiré. Et ils disent n’avoir qu’une alternative: la rue.

“Nous nous sentons exclus”, lâche Norelis.

Sollicitée par l’AFP pour une interview, l’AIPO n’a pas donné suite.

Carlos vit depuis dix ans dans les sous-sols du ministère et fait figure de doyen des “réfugiés”. Il affirme que “tous” sont sur la liste d’attente de la “Mission logement” du gouvernement.

En attendant une réponse, l’homme de 49 ans se sent comme “dans une prison avec un régime de semi-liberté”. “A 19h00, ils ferment (les portes, ndlr) à l’aide d’un cadenas et si t’es dehors, tu restes dehors. Et à 6h00 du matin, ils ouvrent”, dit-il.

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