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Entre la Catalogne et l’Espagne, des siècles de frictions

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Entre la Catalogne et l’Espagne, des siècles de frictions

La crise opposant les autorités de Catalogne et d’Espagne autour d’un projet de référendum d’autodétermination interdit par Madrid est le dernier épisode d’une histoire mouvementée et parfois amère entre cette région et le pouvoir central.

Les indépendantistes, au pouvoir dans cette riche région du nord-est de l’Espagne, se comparent ainsi fréquemment à la république espagnole (1931-1939) écrasée par le général Francisco Franco après trois ans de guerre civile.

Des manifestants catalans scandaient ainsi récemment “No pasaran!” (“Ils ne passeront pas !”), fameux slogan antifasciste de cette guerre civile, après une vague d’arrestations et de perquisitions pour empêcher le référendum.

Les troupes de Franco n’avaient pris la Catalogne que dans les derniers mois de la guerre, en 1939, déclenchant un exil massif vers la France, voisine de ce bastion ouvrier et révolutionnaire.

“La première chose que fait Franco en Catalogne, c’est supprimer la Generalitat”, le gouvernement régional autonome, avant de durement réprimer l’usage du catalan, rappelle Jordi Canal, historien à l’École des Hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris.

C’est aussi sous la république, pour s’opposer à la droite qui gouverne à Madrid, que le président de la Generalitat Lluis Companys proclame en 1934 un éphémère “Etat catalan de la République fédérale espagnole”.

Faute de soutiens, il résiste “six ou sept heures, et il sort arrêté les mains en l’air”, raconte Jordi Canal.

Les photos du dirigeant dans sa cellule galvanisent les Catalans.

“Exactement ce que le gouvernement espagnol essaie d’éviter aujourd’hui”, affirme Jordi Canal, soulignant que les institutions espagnoles, qui multiplient arrestations et saisies en Catalogne, épargnent pour l’heure les chefs séparatistes.

Exilé en France dans les années suivantes, Companys est dénoncé par les nazis en 1940 et remis à l’Espagne où il est fusillé.

“C’est l’image fondamentale du président martyr”, affirme l’historien catalan Joan Baptista Culla.

– Symboles venus de loin –

Mais l’histoire catalane est marquée par des symboles remontant à bien plus loin: la Diada, “fête nationale” catalane marquée depuis 2012 par de grandes manifestations indépendantistes, commémore la chute de Barcelone en 1714 aux mains des troupes du roi d’Espagne Philippe V de Bourbon, petit-fils du Français Louis XIV.

Après cette bataille, la Catalogne, qui avait jusqu’ici des institutions et des lois propres au sein du royaume, est “soumise aux lois de la Castille”, raconte Joan Baptista Culla.

“C’est vrai que les Catalans ont perdu leurs droits et privilèges, mais ce n’était pas une guerre nationaliste”, comme l’affirment certains Catalans, répond Andrew Dowling, spécialiste de la Catalogne à l’université britannique de Cardiff.

“Les Catalans ont été punis parce qu’ils ont soutenu le mauvais camp”, celui des Habsbourg d’Autriche, résume-t-il, en rappelant que le premier parti nationaliste catalan n’est apparu qu’en 1901.

“Les Catalans se percevaient comme des gens économiquement et culturellement avancés et voyaient l’Espagne comme une société arriérée et illettrée” à cette époque où l’Espagne en déclin venait de perdre ses dernière colonies, poursuit Andrew Dowling.

“Cela ne naît pas de rien: ils avaient une langue propre, une vieille littérature, un droit civil ancien, un passé et un présent industriel beaucoup plus forts qu’ailleurs”, rappelle Jordi Canal.

C’est à cette époque qu’est composé “l’hymne national” catalan, qui évoque une révolte de paysans au XVIIe siècle contre la présence de soldats de la Couronne.

– Montée du séparatisme –

Mais le rôle de ces symboles dans la montée depuis 2010 du sécessionnisme, qui avait jusqu’ici toujours été marginal en Catalogne, divise les historiens.

“L’indépendantisme actuel s’alimente de ce qu’il s’est passé ces sept ou huit dernières années”, pense Joan Baptista Culla.

Les Catalans ont très mal vécu l’annulation en 2010 par la Cour constitutionnelle de Madrid d’une partie-clé du texte qui leur conférait une autonomie élargie et le statut de “nation”, puis le dialogue de sourds avec Madrid qui a suivi.

Jordi Canal évoque plutôt le rôle “de l’école, des médias” catalans, qui ont selon lui “convaincu les Catalans, surtout les plus jeunes, qu’ils sont membres d’une nation qui mérite un Etat”.

Joan Baptista Culla répond en récusant cette idée d’une promotion systématique du nationalisme à l’école. “En Catalogne, il y a des dizaines de milliers de professeurs. Penser que ce sont des robots et que ce sont tous des indépendantistes radicaux est grotesque.”

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