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Pakistan: la loi anti-blasphème, une arme puissante pour les islamistes

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Pakistan: la loi anti-blasphème, une arme puissante pour les islamistes

En trois semaines de manifestation, un obscur groupe islamiste a réussi à faire tomber un ministre fédéral: au Pakistan, la très controversée loi sur le blasphème, jusqu’alors utilisée contre des minorités et des dissidents, s’est retournée contre le gouvernement lui-même.

Le ministre de la Justice Zahid Hamid a démissionné lundi, se pliant aux exigences des manifestants islamistes qui bloquaient le principal accès à la capitale depuis trois semaines aux dépens de dizaines de milliers d’usagers.

Avant cela, le gouvernement avait longuement négocié, en vain. Samedi, il a fini par envoyer les forces de l’ordre déloger les quelque 2.000 militants du Tehreek-i-Labaik Yah Rasool Allah Pakistan (TLYRAP), entraînant des violences. Sept personnes sont mortes et plus de 200 ont été blessées. Les manifestants ont résisté et leur mouvement s’est propagé à de nombreuses villes du pays. Seule une médiation controversée de l’armée a permis la levée du sit-in lundi.

L’objet de la grogne: un amendement modifiant à la marge la formulation du serment prononcé par les candidats à des élections, dans lequel ils reconnaissent que Mahomet est le dernier prophète, et que le TLYRAP a lié à la loi sur le blasphème.

Les fondamentalistes y voyaient une volonté gouvernementale de permettre aux Ahmadis, une branche de l’islam considérée comme hérétique et persécutée de longue date au Pakistan, de prêter serment.

Le blasphème est une question très sensible au Pakistan, susceptible d’enflammer les foules. De simples rumeurs ont souvent provoqué des émeutes et des lynchages. La loi, elle, prévoit jusqu’à la peine de mort pour les blasphémateurs.

“Tout peut être blasphème, c’est très large”, observe l’avocat pakistanais Yasser Latif Hamdani. “Je ne pense pas qu’on peut se défendre contre de telles allégations. Etre poursuivi pour blasphème est une peine de mort garantie”, ajoute-t-il.

Ses contempteurs soulignent que la loi est régulièrement détournée et de fausses accusations utilisées pour régler des différends personnels ou faire taire les voix libérales.

Ces derniers mois, certains ont suggéré qu’elle servait aux autorités pour remettre au pas certains blogueurs dissidents, dont plusieurs ont été kidnappés au début de l’année. Parallèlement, des SMS mettant en garde contre la diffusion de contenus blasphématoires ont été diffusés dans le pays.

La démission du ministre Hamid suggère que le gouvernement lui-même n’est pas à l’abri de ce puissant outil.

– ‘Empoisonnement progressif’ –

“C’est le résultat de quatre décennies d’un empoisonnement progressif (de la société) par l’intolérance, l’indifférence politique, et l’incapacité de l’Etat à véritablement comprendre les attentes de sa population”, observe Zeeshan Salahuddin, du Centre de recherche et d’étude sur la sécurité, basé à Islamabad, interrogé par l’AFP.

En 1927, les autorités britanniques au pouvoir dans le sous-continent indien avaient classé au rang de crimes les “actes délibérés offensant les sentiments religieux”, sans faire de différence entre les religions.

La loi fut conservée après l’indépendance et la naissance du Pakistan en 1947.

Plusieurs dispositions y furent ajoutées sous le régime militaire du général Mohammed Zia ul-Haq (1977-1988), dont une peine de prison à vie. La peine de mort pour blasphème fut introduite en 1986.

“La vraie tragédie de cette loi est qu’elle n’est que rarement utilisée, l’accusé étant souvent lynché en public”, s’émeut Zeeshan Salahuddin.

Comme cette année, quand Mashal Khan, un étudiant de 23 ans, a été supplicié dans sa résidence universitaire par une foule déchaînée. L’assassinat, filmé, a été diffusé sur les réseaux sociaux. Après enquête, la police l’avait toutefois innocenté de toute pratique blasphématoire.

Des hommes politiques en ont aussi fait les frais. Shahbaz Bhatti, ministre chrétien en charge des minorités, qui s’opposait à la loi, a été assassiné en 2011 à Islamabad.

Salman Taseer, gouverneur de la province du Pendjab qui la critiquait également, avait été abattu deux mois plus tôt par son garde du corps.

“Les partis politiques sont toujours plus liés aux groupes extrémistes avec qui ils ont conclu des alliances politiques,” remarque Shuja Nawaz, chercheur pakistanais au Conseil atlantique, un centre de recherche de Washington.

Tandis que les manifestants ramassaient leurs affaires lundi soir, ils mettaient déjà en garde la classe politique pour la suite. “Par la grâce de Dieu, ces incidents serviront de leçon aux politiciens”, lançait l’un d’entre eux, Muhammad Irfan Raza Qadri, 27 ans.

Et d’ajouter: “le sang des martyrs de cette manifestation renforcera la finalité du prophète et désignera et détruira les politiciens anti-islam.”

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